Béatrice Jacobs (metteur en scène) – Interview

Par Woodbrass Team

Béatrice Jacobs est une figure absolument incontournable de la danse en France, et son talent de metteur en scène s’est exprimé sur les scènes du monde entier. Mais c’est aussi une personne généreuse et consciente que l’accès à la culture n’est pas une évidence pour tout le monde, et c’est pour cette raison qu’elle a fondé Les Petits Riens. Cette association, dont Woodbrass est partenaire, offre à des enfants issus de milieux défavorisés la chance d’assister à des spectacles mais surtout de pratiquer eux mêmes une forme d’art. Comme on pouvait s’y attendre, le projet est un franc succès et a permis l’éclosion de véritable talents, en plus de permettre à des centaines d’enfants de passer de beaux moments ensemble.

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Quel a été le tournant majeur dans ton apprentissage ?
Mon entrée à l’opéra de Bruxelles avec Béjart a été l’élément marquant : je venais d’avoir 9 ans et j’y suis restée jusqu’à 14 ans. C’était l’époque des ballets du XXème siècle et des grandes créations. Nous étions installés rue de la Fourche, dans un lieu devenu aujourd’hui le musée Béjart. Pendant quelques temps notre studio avait été réquisitionné par une troupe qui répétait. Je me sentais tellement frustrée d’être exclue de mon studio de danse que du haut de mes 9 ans, j’ai interpellé l’un des occupants. c’était Jacques Brel qui répétait  » L’Homme de la Mancha » ! Mon initiation dés l’âge de 9 ans à l’art et à la culture, m’a donné un regard différent sur le monde. C’est cette chance que j’ai voulu transmettre et faire partager aux enfants en créant les Petits Riens.

Qu’as-tu appris pour ta vie quotidienne par le biais de la danse ?
La danse, comme d’autres disciplines artistiques, m’a appris la rigueur. Quels que soient les évènements, la fatigue, la santé, tu dois toujours respecter tes engagements. Même si parfois c’est dur, il n’en demeure pas moins que tu vis ta passion.

Qu’est-ce que l’art amène dans une vie ?
Je pense que depuis toujours l’art fait évoluer l’humanité, il unit les hommes. Les artistes prennent conscience des choses avant les autres.

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As-tu été élevée dans un milieu artistique ?
Mes parents étaient d’un milieu modeste. Mon père travaillait au ministère des contributions, et ma mère était secrétaire. Mais à la maison, on écoutait Bach. L’été dans le quartier de mon père, ils sortaient les chaises et s’installaient dehors pour chanter des airs d’opéra. Les gens allaient à l’opéra, même si c’était au poulailler. Aujourd’hui, malheureusement la culture populaire c’est avant tout la télévision et le niveau s’appauvrit puisque les émissions intéressantes sont diffusées tard la nuit !

Comment as tu eu l’idée des Petits Riens ?
A cette époque, j’étais metteur en scène d’opéra. Déjà enceinte de ma fille, je montais « Mitridate » de Mozart à l’Opéra d’Angers. Puis quand elle était tout petite je l’emmenais partout. Dès son plus jeune âge elle a vécu au coeur d’un monde artistique. Un jour, nous sommes allées voir « Pierre Et Le Loup », et lors de la marche triomphale de Pierre je me suis mise à pleurer. J’ai alors pensé: « c’est injuste, ma fille a trop de chance comparé aux autres enfants de la maternelle ». J’en ai parlé à des amis artistes. A l’origine je voulais simplement donner aux enfants l’accès aux spectacles. Puis les Petits Riens sont devenus ce que les enfants en ont fait. Petit à petit, ils ont souhaité pratiquer différentes disciplines artistiques.

Comment en êtes-vous venus à la pratique des arts ?
J’étais chargée de préparer les enfants pour un spectacle que je mettais en scène sur Duke Ellington à la Cité de la Musique. Je leur ai donc expliqué l’histoire du jazz. Ils se sont très vite intéressés. Mais ils m’ont fait remarquer que eux aussi avaient leur musique. Je leur ai proposé de me la présenter, de m’aider à la comprendre, et de se raconter. Ils ont alors pris conscience de leur énorme richesse et de celle des autres. J’ai demandé à des musiciens de jazz, comme Lisa Cat-Berro, Samy Thiébault et Jean-Philippe Scali qui se sont beaucoup impliqués, de parler de leur musique aux enfants. Ils ont fait des poésies qu’ils ont présentées sur scène, accompagnés par les musiciens. C’est à ce moment qu’ils sont vraiment passés à la pratique. L’accès à l’art ce n’est pas seulement aller voir un concert, mais c’est aussi pouvoir jouer d’un instrument, ce qui est un travail de longue haleine. Nous travaillons dans les collèges avec des enfants de la 6ème à la 3ème. Désormais nous avons également des élèves qui continuent de travailler avec nous alors qu’ils sont au lycée.

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Qu’est-ce qui pousse ces musiciens à donner de leur temps pour les Petits Riens ?
La particularité des Petits Riens c’est qu’il s’agit d’un collectif d’artistes, tous ceux qui travaillent avec nous vivent de leur métier, mais font également partager leur passion. Le partage est essentiel pour un artiste, c’est pour cela qu’il monte sur scène, qu’il réalise des disques, fait des concerts et des expositions. Le partage est la particularité des Petits Riens et son intérêt majeur. C’est un véritable échange entre les enfants et les artistes, c’est vraiment magique.

Les Petits Riens t’ont-ils donné un nouveau regard sur ton art ?
Ça a tout changé ! Au départ, en tant que metteur en scène d’opéra, je vivais un peu dans une bulle en dehors de la réalité. On met souvent les artistes sur un piédestal et on a tort. Pour moi, être metteur en scène ou musicien n’est pas plus valorisant que d’être un excellent boulanger. Dans leur approche, les enfants ont une authenticité qui les conduit à immédiatement détecter les choses importantes. Ils n’ont pas d’à-priori.

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