Eric Du Faÿ (Petites Mains Symphoniques) – Interview

Par Woodbrass Team

Dix ans déjà que le concours des Petites Mains Symphoniques repousse toujours plus loin le désir d’excellence instrumentale auprès des plus jeunes. Cette association, partie d’un simple concours de cor et d’un désir d’envisager l’enseignement musical de façon différente, est devenue une véritable institution plébiscitée aux quatre coins du monde : dans les mois à venir, ils vont jouer avec Vladimir Cosma et même avec la star du rock japonais Kamijo Yuuji. Woodbrass est bien sûr partenaire du concours de cette année, et nous avons rencontré le fondateur Eric Du Faÿ afin qu’il nous raconte l’épopée des Petites Mains.

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Quel a été ton parcours ?
J’ai commencé par le violoncelle pendant 7 ans puis je suis passé au cor d’harmonie. J’ai fait un parcours assez classique : Conservatoire de Tours, Boulogne Billancourt, CNR de Paris et enfin le CNSM. J’ai eu la chance de faire énormément de concerts en sortant du conservatoire, j’ai eu des expériences au niveau de l’orchestre comme au niveau de l’enseignement. Je me suis donc posé la question de comment on en était arrivé à un taux de pratique amateur en France seulement 5% alors qu’on a un réseau fabuleux de 3000 écoles de musique et Conservatoires. Lorsque l’on parle à des enfants, ou même des adultes qui ont commencé la musique et ont arrêté, et qu’on leur demande pourquoi ils n’en font plus, ils répondent que la notion de plaisir leur a manqué au moment où ils ont commencé l’instrument. J’ai donc monté le projet des Petites Mains Symphoniques il y a 10 ans. C’est une proposition, je ne prétends pas avoir trouvé la solution. Je mets en avant la notion de plaisir, le côté convivial et familial, tout en gardant en tête l’idée d’excellence. A l’origine je l’ai créée pour le cor pour des enfants de 6 à 12 ans, les morceaux proposés au concours ne sont ni trop durs ni trop facile, et on donne les mêmes chances à tout le monde. Je tiens aussi à la proximité du concours : il y a entre 50 et 60 lieux d’épreuve, on ne fait donc pas plus de 80 kilomètres pour y aller. Par ailleurs, je demande à ce que l’organisateur du concours fasse tout pour que l’enfant n’ait pas l’impression de jouer 4 minutes et de repartir avec un résultat. Il y donc des masterclasses, des concerts, des goûters… Même si l’enfant ne part pas en finale à Paris, il va passer une super journée.

Comment s’est faîte l’évolution du concours ?
J’ai commencé par le cor, et j’ai eu pas moins de 500 inscriptions, ce qui est énorme pour une première année, surtout pour un instrument sinistré de la sorte. La deuxième année j’ai rajouté le tuba, et je me suis dit qu’auprès des enfants ça n’aurait pas un grand succès, mais on a eu pas loin de 300 inscriptions. En deux ans, c’est donc devenu le concours le plus important d’Europe en terme de nombre d’inscrits. Pour la troisième année j’ai terminé les cuivres en rajoutant la trompette et le trombone. J’ai aussi rajouté la contrebasse et le hautbois, deux instruments qui ont vraiment besoin d’être mis en avant auprès des 6-12 ans. J’ai donc choisi de prendre le problème à l’envers. Pour le concours suivant, j’ai décidé que j’allais faire toutes les disciplines et que le concours aurait lieu tous les 2 ans. Je me suis donc retrouvé avec des milliers d’inscriptions et j’ai retenu 400 musiciens pour l’orchestre. Deux ans après on a refait l’orchestre et j’ai rajouté le chœur ainsi que le jazz. Cette année en 2016, il y a donc l’orchestre, le chœur, le classique, le jazz, et on ouvre à la musique actuelle comme le rock. Nous avons été invités dans 24 pays, et nous avons une quarantaine de concerts à organiser !

Tous les enfants ont-il accès aux concerts organisés ?
Le but de l’association est de valoriser les enfants même en première année. J’ai organisé des concerts à l’Olympia avec des premières années, et c’est en général une salle réservée aux musiciens chevronnés. Un enfant en première année qui travaille 20 minutes tous les jours et qui est passionné doit être valorisé : ça passe par de belles scènes comme l’Olympia, le Grand Rex, le Palais des Congrès… ça déclenche des vocations fabuleuses chez les enfants, ils ont envie de repousser leurs limites.

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Quel a été ta plus grande fierté ?
J’ai réussi à faire un extrait du Sacre du Printemps de Stravinsky avec des enfants de 6 à 12 ans ! Non seulement ça n’est pas un répertoire qu’ils écoutent, mais en plus la partition a un changement de mesure à peu près toutes les mesures… J’avais besoin de prouver que c’était possible. On l’a fait au Grand Rex, ça veut dire qu’on peut repousser les limites. Les enfants sont perméables : ils sont prêts à parler 5 langues dès l’âge de 10 ans ! Ce sont les adultes qui leur disent « tu es en première année, tu ne peux pas faire ça ». Si il y a une envie, il faut l’encourager, sinon on dégoûte l’enfant. A ce titre j’admire beaucoup le modèle Vénézuélien, El Sistema. Là-bas, la musique est la première force politique du pays avec un budget de plus de 4 milliards de dollars. Grâce à la musique, ils sauvent des enfants qui vivent dans des conditions déplorables. En France, la culture est souvent réservée à une élite. La musique peut sauver des gamins : moi-même, si je n’avais pas eu la musique, je ne sais pas où j’en serai aujourd’hui. L’art est indispensable pour le développement de l’enfant. Aujourd’hui, plus aucun politique ne peut sérieusement argumenter que la musique n’est pas importante. Ça a été prouvé scientifiquement. On sait que la musique développe l’enfant, à tel point que la Suisse a changé sa Constitution pour rendre son enseignement obligatoire.

Comment expliques-tu que le plaisir soit si souvent laissé de côté dans l’apprentissage ?
J’en discutais encore avec un parent dont la fille a arrêté les cours de harpe, et la philosophie actuelle de beaucoup d’instituts semble être « travaille et tu auras du plaisir ». C’est une aberration totale. Il faut déclencher quelque chose. On le voit bien dans le sport d’ailleurs : si les gamins perdent sur le terrain de foot ça n’est pas grave, ils se sont donnés à fond et c’est tout ce qui compte. Au début du siècle dernier, le sport n’était pas si important alors que l’opéra était partout, on chantait dans la rue ! La culture musicale populaire était intense. Mais le milieu de la musique ne s’est pas assez remis en question et il s’est fait complètement dépasser. Pourtant il y a une véritable demande. Avec 5% de pratique amateur, on a le choix entre pleurer sur notre sort et essayer de ne pas descendre à 4%, ou bien s’intéresser aux 95% restants : il y a un potentiel extraordinaire, et c’est ça que j’ai envie de mettre en avant.

Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à développer ce partenariat avec Woodbrass ?
J’ai observé le parcours de Woodbrass depuis le début, il y a 15 ans. Nos développements ont été parallèles, et nous partageons des valeurs communes, comme le côté familial et convivial, mais aussi le goût de l’excellence. Je sais qu’il y a une école de musique qui vient de se créer à Woodbrass et que ça fonctionne bien. J’aimerais bien à l’avenir créer des écoles un peu partout en France. Le potentiel est énorme. Je crois vraiment au collectif, ce qui est aussi un moyen de réduire les coûts. Il faut en parler : chaque étudiant au CNSM de Paris coûte 20 000 euros à l’Etat chaque année. Dans un conservatoire de région, cette somme s’élève à 2 ou 3000 euros par an. Il faut donc penser les choses différemment, et je vois qu’une autre approche répond vraiment à une demande. Le moindre orchestre au Venezuela fait entre 90 et 120 concerts dans l’année. En France, ils font 2 ou 3 concerts… Il faut jouer, c’est ça qui est important !

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