Henri Guillabert (clavier du groupe Xalam) – Interview

Par Woodbrass Team

Si vous êtes amateur de musique sénégalaise, vous n’avez pas pu passer à côté de Xalam. Ce groupe est une véritable institution dans leur pays d’origine, mais leur musique a traversé les frontières, au point que leur mélange de rock, de jazz et de musique africaine les a amenés à enregistrer en studio avec les Rolling Stones ou à jouer en première partie de Robert Plant et Jethro Tull. A la recherche d’un multieffet vocal, leur claviériste Henri Guillabert est passé par le Woodbrass Store, et nous en avons profité pour l’interviewer.

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Comment a commencé l’aventure Xalam ?
Xalam est un vieux groupe qui est né en 1969. Je ne suis pas tout jeune ! On a vécu cette période fantastique de la pop et du disco, vu depuis le Sénégal. Nous avons appris en faisant des reprises : des amis nous ramenaient des disques et on les apprenait à l’oreille. On allait à l’école en parallèle, et pour avoir le droit de jouer il a fallu prouver à nos parents qu’on gagnait plus d’argent avec la musique qu’en allant travailler.  J’étais guitariste, fan de Hendrix et Clapton, et je suis venu aux claviers par accident. George Moustaki est venu jouer au Sénégal avec un groupe brésilien, et ils avaient un petit orgue Farfisa et ils ont voulu le vendre au moment de repartir. Nous leur avons acheté, tout le monde dans le groupe a essayé d’en jouer et c’est moi qui m’en suis le mieux sortant, en transposant ce que je jouais à la guitare. A force de bricoler, je suis devenu pianiste et organiste.

Vous avez ensuite évolué vers le jazz…
Xalam a fini par se prendre au sérieux, et nous avons alors comparé notre musique aux groupes qui cartonnaient alors, les artistes comme Fela Kuti ou Manu Di Bango. On s’est alors mis en tête de créer notre propre musique folklorique évoluée. Du coup, en voulant améliorer la qualité technique de notre musique, on a viré vers le jazz sans nous en rendre compte ! Des rythmes polyrythmiques africains comme le 6/8 sont très utilisés en jazz. C’est ainsi que nous avons intéressé des grands musiciens de jazz comme Miles Davis, Stan Getz ou Dizzy Gillespie, qui venaient à un festival de jazz au Sénégal à la fin des années 70. Nous étions le seul groupe africain du festival et avons donc eu la chance de jouer avec toutes ces sommités. C’est comme ça qu’on s’est rendu compte qu’on avait un vrai créneau, et ces gens ont fait notre publicité partout dans le monde.

XalamGoreeC’est à ce moment-là que vous êtes arrivés en France ?
On est venus en France en 1981, on devait rester trois mois mais les producteurs nous ont encouragés à rester ici. Ils nous ont trouvé des cartes de séjour, et on s’est alors rendus compte qu’on était très connu dans le milieu jazz français. On a fait beaucoup de sessions avec le violoniste Stéphane Grappelli. Mais nous nous sommes rendus compte que même si on évoluait techniquement, le fait de changer d’environnement n’était pas bon pour notre musique. Je suis donc rentré au Sénégal, j’ai fait un disque tous les trois ans où j’invitais des chanteurs comme Youssou N’Dour et Ismaël Lô sur mes compositions. A partir de 2008, on a relancé Xalam parce que ça nous manquait. On s’est rendus compte qu’il existait un site et un facebook de fans qui n’attendaient que ça ! Nous sommes actuellement en train de terminer un album qui sera beaucoup plus ouvert que les autres, moins jazzy et plus afro, avec des rythmiques plus acceptables sans brader notre style. Malgré la possibilité technique d’empiler les pistes, on a évité de surcharger. On essaie de mieux travailler en mettant moins de choses.

Y a-t-il un album que tu recommanderais pour découvrir le groupe ?
On considère notre album Gorée comme le meilleur car la production rock correspond exactement au son que l’on recherchait. Ça n’a pas forcément été notre plus gros succès commercial mais en tant que musiciens c’est celui dont nous sommes le plus fier.

Comment vois-tu l’évolution de la musique africaine ?
Dans les années 80, les concerts live étaient des vrais concerts live. On jouait dans des festivals avec des groupes de rock pur comme les Pogues, et il y avait moins d’électronique. A l’heure actuelle, on voit des concerts aseptisés où le clavier joue tout, mais on se demande si c’est vraiment le chanteur qu’on entend ! Les jeunes me disent que c’est bien, que ça fait danser, mais il y a besoin de l’approche des anciens. Je n’ai rien contre la technologie, je me sers beaucoup de Pro Tools, mais tout dépend de ce que tu en fais.

henri2Quels sont les claviers par lesquels tu es passé ?
Quand on est organiste on rêve d’avoir un Hammond ! Moi j’ai eu un Intercontinental, on pouvait l’incliner donc je faisais le malin avec sur scène. J’avais une cabine Leslie aussi, et rétrospectivement j’ai pitié des techniciens qui portaient ce truc qui pesait une tonne ! Ensuite j’ai acheté le Rhodes puis nous sommes passés aux synthés et aux strings Solina. J’ai toujours mes Yamaha DX-7, c’est du solide ! Lorsqu’on avait de l’argent, on achetait immédiatement du matos ! Notre manager nous ramenait des instruments de France, comme notre première Fender Stratocaster, une blanche ! C’était un avantage non-négligeable sur les autres groupes parce qu’on avait un vrai son. Avant j’avais un Fender Rhodes mais j’ai craqué sur le Korg SV-1 qui est un vrai clavier de scène, il n’y a pas à se prendre la tête et à déplacer un suitcase énorme ! Quand j’achète un instrument, c’est pour trois ou quatre sons qui m’intéressent. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai beaucoup de claviers. Quand on a enregistré avec les Rolling Stones, j’ai vu Keith Richards qui avait une loge avec cinquante ou soixante guitares. Le technicien qui était là m’a expliqué qu’il utilisait chaque guitare pour un seul son, et c’est pareil pour un claviériste comme Joe Zawinul.

Quel matériel utilises-tu dans ton studio ?
J’ai opté pour les Lauten qui sont excellents. J’ai une batterie Pearl qui a un son impeccable avec le kit de micros Audix.

Tu es aussi très impliqué dans l’éducation musicale n’est-ce pas ?
Exactement. Lorsque nous avons commencé à jouer nous avons eu la chance d’être guidés par d’autres musiciens, et c’est ce que je veux instaurer dans le centre musical que je suis en train de monter. Lorsque nous voyons les enfants dans les écoles, il est clair que certains d’entre eux sont très doués. On va faire un concert pour récolter des fonds et acheter des instruments, le but est ensuite que la ville de Dakar installe des petits conservatoires dans chaque commune. Il faut que ça fasse tâche d’huile, c’est notre rôle.

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