Led Zeppelin : les remasters impossibles ?

Par Woodbrass Team

. Comme tout le monde, nous avons couru chez notre disquaire et nous vous faisons ici part de nos impressions.

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Une fois arrivé chez le disquaire, le choix se présente de la version avec lequelle on va repartir. Il y a le double CD, le double vinyle (triple dans le cas de Led Zeppelin puisque le concert en bonus ne tenait pas sur un seul) et le coffret hors de prix avec CD, vinyle, téléchargement et bouquin de photos. Le vinyle est tentant, mais possédant déjà les originaux dans ce format, c’est le bon vieux CD qui fera l’objet de notre choix. Le packaging est soigné, avec des livrets agrémentés de très belles photos d’époque, même si on peut déplorer l’absence de texte qui nous aurait donné des détails sur le déroulement des enregistrements. Jimmy Page, qui s’est personnellement chargé de ces remasters, a peut-être voulu garder le mystère… Enfin, Led Zeppelin III retrouve enfin sa pochette rotative, qui faisait cruellement défaut à la précédente édition CD.

led-zeppelin_box-set-2014Une soirée à l’Olympia
Les fans attendaient bien sûr avec impatience les Cds bonus, et on y trouve effectivement pas mal de pépites. Pour Led Zeppelin I, les séances de studio ont été si courtes qu’il n’y avait pas de chutes et c’est donc un concert donné à l’Olympia en 1969 et enregistré pour la radio qui fait office de bonus. Il s’agit d’une preuve de plus du fait que Led Zeppelin était un véritable ouragan sur scène, une vraie leçon de feeling, de musicalité et de puissance. Le groupe n’existe que depuis quelques mois mais joue comme si sa vie en dépendait, et la qualité de l’enregistrement permet de se retrouver dans l’ambiance. On y entend déjà Heartbreaker et Moby Dick qui ne sont pas encore sortis à l’époque, et pour les geeks de guitare on peut déjà y entendre la Les Paul qui sera sur tous les albums suivants alors que le premier a été enregistrée avec une Telecaster. Ce live à l’Olympia est donc un témoignage émouvant de la naissance d’un colosse, en plus d’être un bel album qui aurait amplement mérité de sortir officiellement en dehors du contexte des remasters.

led-zep-iiKaraoké
Les deux autres Cds bonus reprennent les morceaux de l’album original dans le même ordre mais en proposant pour chacun une version différente, pour former une sorte de négatif, d’où les couleurs inversées des pochettes arrière (et ouais, ils se sont creusés la tête sur le concept !). Pour Led Zeppelin II, Page a été confronté au même problème que pour le premier puisque II a été enregistré sur la route entre deux concerts, et ils n’ont donc pas pris le temps de faire des milliers de versions de chaque morceau. On a donc droit à deux morceaux sans piste de chant, et pas les plus intéressantes (Thank You, Living Loving Maid, et à quatre « rough mixes », qui sont en gros les versions originales avec un ou deux éléments qui différent. Pour Whole Lotta Love, la partie de voix n’est pas la même et le solo n’existe plus, pour Heartbreaker, le solo du milieu est différent, et pour What Is And What Should Never Be et Ramble On, il y a des couches de guitare en moins. Il y a en plus le morceau inédit appelé La La, qui est un instrumental à l’orgue très présent dans la lignée de Thank You, et en l’absence de voix le tout sonne un peu plat, d’autant plus qu’il n’y a pas ici de riff de guitare incroyable pour illuminer le tout. En d’autres termes, il y a une raison pour laquelle le groupe a décidé de ne pas finaliser le morceau à l’époque.

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Sur Led Zep III, on retrouve deux titres sans voix (Friends – qui perd aussi ses cordes, et Bathroom Sound, qui est en fait Out On The Tiles), et deux rough mixes : Gallows Pole sans banjo et sans mandoline, et That’s The Way sans pedal steel. Il y a aussi deux mixes alternatifs de Immigrant Song (avec la guitare trémolo du couplet beaucoup plus forte) et de Celebration Day (avec un équilibre des guitares différent). Les choses vraiment intéressantes sont les trois morceaux qui restent : ce qui est présenté comme un rough mix de Since I’ve Been Loving You et qui est en fait une prise alternative, avec plein de nouvelles idées à la guitare et surtout une très belle performance vocale de Robert Plant, et deux morceaux complètement inédits. Jennings Farm Blues est en fait une version électrique de Bron-Y-Aur Stomp, avec des arrangements de guitare incroyables, et on se met à fantasmer à l’idée que les groupes tribute à Led Zep vont désormais pouvoir reprendre cette version… Enfin, Key To The Highway / Trouble In Mind est un jam avec Page à l’acoustique et Plant au chant et harmonica branchés sur un Vox avec le trémolo à fond, d’où le son de voix très particulier que l’on entendra finalement sur Hats Off To Roy Harper qui clôt la version originale de Led Zeppelin III. En plus de plaisir de la redécouverte, ces bonus nous éclairent sur le processus créatif du plus grand groupe de hard rock du monde. On y entend clairement certaines approximations de Page qui montrent que l’énergie d’une performance lui important plus que la perfection technique, on s’y rend compte qu’il réutilise des idées d’une prise à l’autre dans ses solos, et qu’il ne s’agissait donc pas de totale improvisation, et enfin on réalise en écoutant les instrumentaux que les sons de guitare ne sont pas si larges que ça. Il n’y a pas énormément de graves, contrairement à ce que s’imaginent les fans élevés aux simulations de Marshall plexi. En fait, la sensation d’énormité vient avant du son dantesque de la batterie, et du fait que les fréquences de la guitare ne se battent contre aucun autre instrument. Une morale qui pourra servir à tous les musiciens : pour avoir un son de guitare énorme sur album il suffit d’avoir un son de batterie énorme.

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Remasterisons
Et les remasters des Cds originaux dans tout ça ? Eh bien ils laissent un drôle d’arrière goût : ils sonnent de manière plus ronde et moins précise que la version précédente. On perd en impact et en précision ce qu’on gagne en chaleur, et on pourrait même aller jusqu’à dire que Jimmy Page a un peu forcé sur la compression. D’ailleurs plusieurs membres de l’équipe ont fait la comparaison à l’aveugle et le verdict est sans appel. Dommage, ça sonne plus comme si l’album avait déjà compressé en mp3 de bonne qualité… Et pour couronner le tout, Led Zeppelin I est victime d’une extrême bizarrerie, puisque son image stéréo a été inversée ! Le charley de Good Times Bad Times qui marque le temps à gauche ? Le voilà à droite… La Gibson J-200 doucement arpégée qui ouvre Babe I’m Gonna Leave You a elle aussi déménagé de gauche à droite, et ainsi de suite… Difficile de croire qu’aucun des responsables impliqués dans un projet aussi important que le remastering de cet album ne se soit rendu compte de rien. Trois solutions : soit c’est un choix volontaire et dans ce cas il n’est pas facile à justifier, soit personne n’a osé contester le master de Jimmy Page qui ne s’est rendu compte de rien, soit tous ces gens ont des branchies à la place des oreilles.

Epilogue
On se heurte finalement à un problème de base qui a sans doute empêché Jimmy Page de dormir : comment remasteriser du Led Zeppelin ? La question du pourquoi est claire : ces remasters sont avant tout une excuse pour refaire parler du groupe et proposer de beaux Cds pleins de bonus avant que le format CD ne disparaisse complètement. Mais la question du comment est nettement moins simple. Certains remasters s’imposaient d’eux mêmes, ceux que les Beatles ont sorti en 2009 par exemple, tant les premiers transferts sur CD sonnaient mal. Mais le mastering des Cds de Led Zep sortis en 1990 était excellent, et on peut très difficilement faire mieux. On peut faire différemment, mais le résultat devient alors une question de goût. Personnellement, je n’échangerai pas mon baril de 1990 contre un baril de 2014.

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