Patrice Rouillon (preneur de son, programmeur, concepteur de studios) – Interview

Par Woodbrass Team

Patrice Rouillon fait partie de ces hommes qui sont de véritables personnages de la Renaissance, se penchant sur différents domaines et différentes manières d’exercer leur art avec un talent constant. Il a été responsable du son du meilleur album de Judas Priest (Painkiller – 1990), a été programmateur pour Mylène Farmer (L’Autre – 1991), a tenu le meilleur studio de répétition de la capitale, a sonorisé des documentaires en tous genres et il s’occupe maintenant du label Green et de son studio associé. Mais ce touche-à-tout de génie continue aussi en parallèle de concevoir des studios dans le monde entier, et c’est même lui qui s’est occupé de l’insonorisation de la cabine de Woodbrass Deluxe ! Quand on vous dit qu’il est partout…

patrice1D’où te vient la passion du son ?
Je jouais déjà dans des groupes en tant que guitariste quand j’étais gamin. On avait des soucis pour trouver des endroits où jouer et j’ai donc construit mon premier studio à l’âge de 13 ans, en isolant une pièce pour arrêter de déranger les voisins. Nous avons ensuite obtenu un local de la mairie où j’habitais mais ils m’ont demandé d’en faire l’isolation. Mais la salle était insupportable niveau sonore, ce qui m’a obligé à me pencher sur les techniques de traitement acoustique. J’ai fait une formation BTS d’électronique en robotique, et en sortant de ce BTS je n’avais pas envie de bosser dans l’industrie. Je suis donc rentré en faculté à la Sorbonne en arts plastiques, option cinéma vidéo et photo. Il y avait un studio sur place, et j’ai donc appris ce que c’était que le montage son à ce moment-là et je faisais du montage vidéo sur des bandes.

Comment es-tu passé des études au monde du travail ?
J’ai rencontré Jarvis, il venait d’Angleterre avec l’objectif de promouvoir les consoles SSL dans les studios français. C’était l’époque de la série 4000. Etant donné ma formation et ma compétence en programmation informatique, j’ai vite compris comment fonctionnait cette machine, et Jarvis m’a donc proposé de travailler comme installateur SSL le weekend pour payer mes études. Le défi était donc à chaque fois de désinstaller l’ancienne console et de paramétrer la nouvelle de manière à ce que tout soit opérationnel le lundi matin. Mais les ingénieurs n’étaient pas habitués à l’interface SSL et je me suis donc aussi retrouvé à les former, ce qui me permettait de rester dans le studio plus longtemps et m’a permis de trouver facilement une place d’assistant. A l’époque on travaillait surtout sur des albums, et j’étais donc embauché pour des périodes de deux ou trois mois.

Comment as-tu fait pour t’adapter aux évolutions technologiques ?
J’ai eu la chance de faire mes études dans ce domaine à l’époque des premiers Atari, et j’ai donc été formé là-dessus à l’école. Je connaissais déjà bien les machines avant de commencer à travailler, et lorsque Pro Tools est arrivé je connaissais déjà par cœur Notator.

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Comment es-tu passé du statut d’assistant à celui d’ingénieur à part entière ?
Il y a eu de gros problèmes de vol dans un studio parisien et j’ai été accusé. Je travaillais le soir avec les groupes de rock donc j’étais le coupable tout trouvé. J’ai donc décidé de partir dans le Sud, j’ai appelé le patron du studio Miraval à qui j’ai raconté l’histoire et qui m’a dit de venir bosser avec le groupe de heavy metal britannique Judas Priest. Une fois sur place, je me suis tellement bien entendu avec le producteur Chris Tsangarides qu’il m’a laissé la console. Un vrai baptême par le feu ! Je connaissais le rock et la guitare, et on a bien travaillé ensemble, on a essayé plein de choses.

Le son de Painkiller est extrêmement clair et précis, quel matos as-tu utilisé à l’époque ?
La console était une SSL4000 et on avait des très beaux micros, notamment du Neumann U47 à lampes, mais ce qui nous intéresse avant tout c’est la pièce. Je pense qu’on se focalise beaucoup sur le matériel, le préampli, le micro, ça n’est pas une mauvaise chose mais on ne pense pas assez au volume et aux particularités de réverbération de la pièce, alors qu’elle a une importance énorme. Il y avait à Miraval une pièce entièrement en parpaing que l’on a utilisé pour d’autres choses, et le studio en lui-même fait 300 mètres carrés. On a passé six jours à placer dans la batterie dans la grande pièce tout en bois. Nous sommes allés chercher des réflecteurs de tous types, des plaques ondulées en métal achetées chez les fournisseurs du coin, et nous les avons placés en écran tout autour de la batterie. On écoute en permanence, et on colle des PZM ou des micros sur les plaques. Je suis tout à fait intéressé par la recherche, et nous avons trouvé le son que nous voulions de façon empirique, en tâtonnant. Le batteur Scott Travis était aussi venu avec énormément de matériel, ce qui nous a permis de trouver exactement le son que l’on cherchait. Pour une crash de 16“, Paiste lui en avait donné 6 identiques et nous pouvions donc choisir. On avait monté un Studer 24 pistes en 16 pistes pour avoir une bonne largeur de bande et on s’en servait pour la batterie. A l’école, le numérique avait un aigu qui faisait mal aux oreilles.

Comment as-tu obtenu ce son de kick si précis et épais à la fois ?
C’était la première fois que je voyais une double grosse caisse ! On a placé deux micros en proximité des peaux de devant, deux micros près des battes et un U47 à 1m50 de chaque grosse caisse. Je conseille vivement aux ingés son de balader leurs oreilles à environ 40 cm du sol dans ce périmètre pour chercher le son.

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Les musiciens enregistraient-ils dans les conditions du live ?
Oui ! Les guitaristes, la basse et le chanteur jouaient dans la cabine, ce qui permettait qu’ils soient tous en live pendant que le batteur enregistrait, sans que l’on garde nécessairement leurs prises.

Comment t’y es-tu pris pour les sons de guitare ?
Il y a encore des gamins qui me demandent plein de détails sur cet album mais c’était il y a longtemps, et je n’ai pas tout noté… L’ampli principal était un Marshall JCM-800 deux canaux mais on pouvait doubler avec d’autres têtes. On a beaucoup utilisé le préampli de guitare ADA MP-1 pour la texture, pour rajouter de l’attaque. J’ai appris à ce moment à faire saturer un ampli, à pousser les lampes de puissance plutôt que de préampli… On a aussi fait des guitares en mettant l’ampli dans la salle en parpaing. Pour les sons clairs ça devait être le ADA avec un chorus rajouté.

Quelle est la suite de ton parcours ?
J’ai décidé de remonter à Paris pour programmer plusieurs albums. La synthèse du son et le sampling m’ont toujours intéressés. J’ai bossé cinq ans environ la tête dans les écrans tout petits de l’époque, j’ai patché des kilomètres de câbles CV dans les synthés analogues pour ensuite décidé d’arrêter le studio. J’ai donc investi l’argent que j’avais gagné dans un espace où je monte alors des studios de répète, ça s’appelle l’Iguane. Je mets en place des studios de qualité puisqu’à l’époque il n’y avait rien à Paris : les seuls locaux ne sonnaient pas et avaient du matériel en piteux état. Il y a donc de nombreux artistes de rock français qui viennent bosser dans mes trois studios, et je vais gérer ça pendant 14 ans. Petit à petit j’en viens aussi à donner des conseils de son, de matos, et à faire des enregistrements live. On s’amuse, et on joue beaucoup. L’endroit est tranquille sans voisin, donc on joue toute la nuit entre potes.

Comment en es-tu arrivé à Green ?
En parallèle je commençais à faire de la prise de son pour des documentaires, parce que j’avais envie de me balader, d’aller loin de Paris. J’avais construit un système Pro Tools qui tournait sur 12 volts ! Je partais loin : au Népal, dans le désert, dans des endroits pas forcément bien alimentés et pas très secs. Il m’est arrivé de faire du 12 pistes à 4000 mètres d’altitude, ou de passer quelques nuits en forêt, le doigt prêt à appuyer sur « rec » pour choper le cri d’un singe. Finalement en 2008 Green m’a demandé de m’occuper de leurs studios et du groupe Télépopmusic. Green United Music (GUM) est anciennement le label «  Le village vert ». Frédéric Monvoisin et moi avions déjà plusieurs années de collaboration. Nous nous connaissions bien, ses artistes étaient des habitués de l’Iguane. Depuis, j’ai dessiné 7 studios, dont trois en Chine et ça n’est pas terminé !

Quel conseil donnerais-tu à un groupe de rock ?
J’en ai trois qui me viennent. Pensez au silence entre des notes parfois, ouvrez vos oreilles pour placer un micro, et pour bien entendre le timbre d’une grosse caisse, je persiste à dire qu’il faut avoir une enceinte qui a le même volume intérieur que le fût. Je sais, ce n’est pas facile à placer dans un home studio… Dans ce cas essayer en mono, c’est bien et ça n’en fait qu’une !

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