Samy Thiébault (saxophoniste) – Interview

par Woodbrass Team

Parmi la jeune garde du jazz français, Samy Thiébault tient une place de choix. Ce saxophoniste pétri de talent en est déjà à son cinquième album et on ne compte plus le nombre de concerts qu’il cumule, en nos contrées comme en des pays lointains. Son nouvel opus, A Feast Of Friends, le voit revisiter l’œuvre des Doors par la face jazz, au sein d’un quatuor à la finesse musicale redoutable. Pour ne rien gâcher, il sera au Café de la Danse de Paris le 26 mars, et vous pouvez même acheter vos places avec 20% de réduction en achetant via ce lien : http://www.sunset-sunside.com/2015/3/artiste/1693/2680/ et avec le code 20ST26. En attendant, nous avons rencontré Samy pour un entretien passionné.

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Quelle a été ta carrière avant d’en arriver à ce nouvel album ?
Je pratique la musique depuis 20 ou 25 ans, mais ma carrière professionnelle a commencé il y a une dizaine d’années. Avant j’écoutais pas mal de classique, puis j’ai commencé à travailler sérieusement le jazz au début des années 2000, en particulier à l’écoute de la musique de John Coltrane. C’est lui qui m’a fait tomber amoureux de cette musique et m’a permis de réaliser la portée spirituelle que pouvait avoir ce style. Ça a été un vrai choc émotionnel, physique et intellectuel. J’ai d’abord travaillé énormément en autodidacte, puis je suis rentré à l’école des frères Belmondo où j’ai passé trois belles années au cours desquelles j’ai énormément appris, puis je suis allé au CNSMDP dont je suis sorti en 2008. A partir de cette date j’ai commencé à enregistrer mes propres albums, puis j’ai rencontré mon agent, j’ai monté mon label… Chaque année a marqué un pas de plus, et là on en est déjà à 5 albums, avec une tournée nationale et internationale qui nous attend pour cet album A Feast Of Friends.

Quand tu parles de la portée spirituelle de Coltrane, tu fais référence à A Love Supreme ?
Oui, entre autres. C’est effectivement l’écoute de cet album qui m’a complètement chamboulé, presque traumatisé. Mais j’ai aussi été marqué par l’attitude de Coltrane. Avant lui le jazz était une musique de plaisir des sens, et il est le premier musicien qui lui a donné une portée religieuse. C’est aussi pour ça que le répertoire des Doors s’est imposé comme une évidence puisqu’ils avaient la même démarche. J’avais envie de passer par une formule en quartet pour repréciser mon discours, et j’ai donc décidé de repasser par les Doors qui étaient mon premier amour musical. Je voulais éclairer les Doors à la lumière de ce qui me semblait être le cœur de leur musique pour y trouver quelque chose qui m’appartienne.

Qu’entends-tu par « le cœur de leur musique » ?
Je pense surtout à l’aspect transe de leur musique et à son aspect révolutionnaire. Jim Morrison était passionné par toutes les cérémonies de transe indiennes, il faisait beaucoup de références aux anciens cultes dans sa poésie.

Tu veux parler de ses références au Roi Lézard ?
Oui tout à fait, le Festin d’Amis aussi… « Break on through to the other side » ça veut dire ce que ça veut dire. Jusqu’à leurs concerts qui étaient presque des cérémonies, des liturgies. Il y avait une vraie volonté de changer les esprits par le plaisir, par le rite, par la danse. C’est ce qu’on retrouve dans la musique de Coltrane. D’ailleurs les Doors écoutaient énormément la musique de Coltrane, même si je ne pense pas que Coltrane écoutait les Doors. Il y a un documentaire sorti récemment dans lequel on voit Ray Manzarek (claviériste des Doors) bosser les accords de McCoy Tyner (pianiste de Coltrane).

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Les arrangements étaient-ils déjà prêts avant d’entrer en studio ?
Oui bien sûr, je ne rentre pas en studio si la musique n’a pas été éprouvée sur scène auparavant. Le studio est un rendez-vous important et je ne l’imagine donc pas sous forme d’improvisation. La musique a été longuement écrite, longuement jouée, longuement répétée, de sorte qu’il n’y ait plus d’interrogations au moment d’enregistrer. Et là, le but devient de transformer cette musique, de lui faire dépasser le stade de partition. Pour cet album je me suis donc enfermé pendant deux semaines pendant lesquelles j’ai relevé note à note les morceaux des Doors qui me paraissaient les plus signifiants. Ensuite c’est de l’alchimie, il faut trouver la bonne définition de la matière pour que les morceaux se transforment devant nos yeux. Les arrangements prennent donc forme d’eux-mêmes. Sur le papier, la musique n’était pas évidente à jouer, avec pas mal de rendez-vous rythmiques et d’accords compliqués à faire sonner. Nous avons fait deux concerts de suite et dès le lendemain nous avons commencé l’enregistrement.

Quel est ton saxophone de prédilection ?
Je joue depuis 10 ans sur un vieux Selmer Mark VI, mais je suis en train de le transformer avec le concours d’un génie de la lutherie qui s’appelle David Barrault. Il est en train d’essayer de mettre au point un saxophone artisanal, sans passer par un usinage industriel. Il avance doucement, point par point, très précisément et à la main. Niveau bec, je joue sur les V16 Vandoren, le dernier modèle qu’ils ont sorti l’année dernière qui sont de la pure dynamite, avec des anches V16 et des ligatures Jean Luc Vignaud. C’est un mélange un peu hétéroclite qui fonctionne bien pour moi !

Qu’attends-tu de ton instrument ?
La première chose que je cherche c’est la souplesse et la facilité. Je ne veux pas qu’on m’impose un son. Il y a des saxos qui sont très formatés et qui imposent déjà une façon de jouer, moi j’aime les saxos neutres, précis et très centrés. Je veux pouvoir travailler ma sonorité, chose que je ne trouve pas forcément dans les saxos modernes à part chez Selmer. En termes de becs, je trouve que le travail fait par Vandoren sur les derniers V16 est hallucinant : ils sont vraiment très justes, très souples, très fiables et font ressortir les harmoniques aigues en les arrondissant.

Vois-tu le fait de monter son propre label comme passage obligé pour un musicien à l’heure actuelle ?
Ça dépend vraiment des artistes. Il y a cinq ans, j’avais sorti mon premier album chez B Flat et on ne pouvait pas continuer l’aventure pour plein de raisons. Je me suis alors dit que le temps de chercher un autre label serait le temps que je mettrais à monter le mien. Je suis quelqu’un qui aime bien avoir la maîtrise des éléments, c’est donc une situation qui est plus confortable pour moi. C’est plus de travail, plus d’investissement, mais c’est le prix de la liberté, et c’est effectivement une démarche d’avenir.

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