Steve Vai au Hard Rock Café – Interview (part 1)

par Woodbrass Team

Le 12 mai, Steve Vai était au Hard Rock Café des Grands Boulevards à Paris pour leur remettre une Ibanez JEM signée qui sera affichée au mur du restaurant. A cette occasion, l’alien de la guitare a donné une conférence de presse à laquelle nous étions bien sûr conviés. L’entretien résultant ayant duré une bonne heure et demie, nous vous proposons donc sa retranscription en plusieurs parties. Accrochez-vous, il y a de quoi faire !

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Pour les quatre lecteurs qui ne connaissent pas, Steve Vai est un guitariste de Long Island aux Etats Unis qui a commencé sa carrière comme guitariste de Frank Zappa, puis a ensuite travaillé avec Alcatrazz et David Lee Roth (l’excellent Eat ‘Em And Smile) avant de se lancer en solo (le sublime Passion & Warfare en 1990). En chemin, il a conçu de toutes pièces son modèle signature chez Ibanez, et la JEM est toujours un succès 25 ans plus tard sans aucune modification du design d’origine. Pour cette conférence de presse, Steve était très détendu, disponible et peu avare de bons conseils. Il est aussi un brin mystique, ne vous étonnez donc pas de la teneur peu habituelle de certaines réflexions. C’est parti !

Comment s’est passée la conception de ton modèle signature Ibanez, la JEM ?
C’est une belle histoire. J’avais à peu près 25 ans, et je travaillais pour Frank Zappa. C’était un homme incroyable en cela que quand il voulait faire quelque chose, il le faisait tout simplement ! Il le faisait aussi avec les guitares, quand il voulait par exemple de l’électronique customisée. Lorsque j’ai commencé à jouer, j’adorais les Stratocaster parce qu’elles ont un vibrato, mais je n’aimais pas le son de micros simple bobinage, et j’aimais les Les Paul parce que Jimmy Page en jouait une, mais elles n’ont pas de vibrato donc pas question de jouer dessus ! Je ne trouvais donc rien sur le marché qui correspondait à ce que je cherchais pour mon style de jeu. Lorsque j’ai rejoint le groupe de David Lee Roth, j’ai commencé à travailler sur mon propre modèle de guitare en collaboration avec un magasin de Hollywood. J’ai conçu le corps en partant de la Strat en moins banal, en plus féminin et plaisant à mes yeux. Il y avait aussi d’autres modifications qui étaient importantes pour moi : un manche à 24 cases, une découpe d’accès aux aigus plus profonde, et la configuration de micros à 5 positions qui donne les sons claquants de la Strat en position 2 et 4 avec le split des humbuckers. J’ai aussi conçu la découpe derrière le Floyd Rose pour tirer plus haut sur les notes, ainsi que la sortie jack qui sort vers l’attache sangle et empêche de se débrancher en marchant sur son câble. Vu que j’étais avec David Lee Roth, toutes les marques de guitare voulaient m’endorser. J’avais construit quatre prototypes, et je l’ai envoyé comme modèle à ces marques, mais elles me proposaient généralement des modèles existant déjà dans leurs catalogues avec de légères modifications. Ibanez ont été les seuls à me construire l’instrument tel que je le souhaitais, avec une qualité parfaite et un son incroyable. Ils ont donc construit la JEM, et ils m’ont ensuite dit qu’ils aimeraient en faire un modèle de leur catalogue. Je me demandais alors « qui pourrait bien vouloir de ça, c’est tellement spécifique à mon jeu ? ». J’avais tort : beaucoup de gens voulaient jouer sur ce modèle, et il connaît toujours un grand succès après bientôt 30 ans d’existence. Ces guitares me font du bien, elles sont un endroit chaud. Il m’arrive d’utiliser d’autres guitares mais je reviens toujours à la JEM.

Tu es capable d’écrire des chansons aussi différentes que la très romantique The Moon And I ou la grotesque Fuck Yourself. Du quel de ces deux personnages te sens-tu le plus proche ?
J’ai écrit Fuck Yourself il y a des années, alors que je traversais une période très sombre, en écrivant de manière très sarcastique. Certains morceaux écrits à cette époque étaient extrêmement sombres, et je ne les ai jamais sortis : en envoyant des sentiments négatifs dans le monde, tu ne fais que perpétuer ces tendances. The Moon And I a été écrit dans un état d’esprit complètement différent, en me concentrant sur mon univers intérieur pour complètement devenir ce à quoi je pensais. Je suis bien plus proche de ce personnage là.

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Steve en compagnie d’Alain Gozzo, batteur émérite et responsable du marketing chez Mogar / Ibanez France

Tu es connu pour ton côté mystique et ta fascination pour la numérologie. Est-ce encore d’actualité ?
J’ai longtemps étudié les principes ésotériques, je fréquentais énormément le Bodhi Tree, une librairie de Hollywood spécialisé dans la numérologie, les réligions et les OVNIs. Beaucoup d’entre nous ont grandi au sein d’un dogme religieux, pour ma part j’ai grandi dans une famille catholique. Je me suis donc intéressé à la bible, en sentant une affinité avec certains passages et beaucoup de doutes sur d’autres passages. Je me suis ensuite penché sur la numérologie, et je trouvais ça cool d’avoir ce côté mystique dans mes albums. Ça a d’ailleurs marché, puisque le gens se sont dit que j’étais spirituel. Mais je n’ai jamais adopté un principe dogmatique comme mon identité, c’est une autre forme de folie. La création d’une identité à partir de notre histoire est une pensée, ça ne peut donc pas être spirituel. Le spirituel transcende la pensée humaine, c’est la conscience elle-même, on ne peut pas la traduire par des mots. Si je te dis que le numéro 47 sera très important pour toi cette semaine, tu vas trouver ça ridicule mais tu vas commencer à remarquer qu’il est partout, tout simplement parce qu’il y était déjà avant mais je ne te l’avais pas fait remarquer. La numérologie est une manière de structurer des idées dans notre cerveau, la vraie spiritualité n’est pas là. C’est le problème qu’ont rencontré les grands prophètes : ils essayaient d’expliquer ce qui ne peut pas être intellectualisé. Je suis un apiculteur amateur. Tu peux écrire des thèses entières sur le miel, étudier sa consistance et sa structure moléculaire, décrire son goût de manière très précise, mais le seul moyen de connaître le vrai goût et d’en manger, et ça n’est pas quelque chose qui passe par l’esprit.

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La JEM signée qui sera au mur du Hard Rock Café d’ici peu

Tu as écrit un cours pour Berklee et tu animeras cet été le stage Vai Academy. Qu’est-ce qui t’attire vers la pédagogie ?
J’aime beaucoup enseigner, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est un sentiment génial quand tu expliques quelque chose à quelqu’un et que tu sens qu’il vient de comprendre. D’autre part, tu apprends beaucoup sur toi-même par ce biais, tu prends de la perspective sur ton propre jeu. Le cours pour Berkeley se focalisait uniquement sur la guitare, tandis que les clinics Alien Guitar Secrets parlent du développement de ma musique. Le Song Evolution Camp part encore d’une autre idée. Il s’agit de trois jours d’apprentissage de l’indépendance musicale, j’essaie d’y répondre aux interrogations de la plupart des jeunes musiciens : comment écrire une chanson, comment l’enregistrer, comment la mixer, comment la masteriser, comment la distribuer, comment la promouvoir, comment tourner avec et vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants. Je commence pour expliquer mes méthodes de composition aux 100 ou 200 personnes qui viennent, ensuite on compose un morceau en direct. Les gens viennent ensuite me voir pour des conseils précis sur leurs carrières, et l’un des points les plus important est d’apprendre à monter une société d’édition. Quand j’ai demandé à Frank Zappa de me donner un conseil profond sur la musique, il m’a répondu « garde la propriété de tes éditions ». C’est un conseil qui m’a servi tout au long de ma carrière : tes éditions sont la première chose que les gens veulent te prendre, mais il ne faut jamais les donner, et je n’ai jamais été exclu d’aucun projet pour autant. Le lendemain, on enregistre le morceau composé la veille, les élèves peuvent donc voir les techniques de placement de micros et l’empilage des couches instrumentales. Vient ensuite la production et le mix, on apprend à placer les instruments dans l’espace stéréo et à faire de cet enregistrement un produit musical fini. Nous mettons ensuite le morceau en ligne à disposition du public, puis des professionnels viennent parler du music business et du marketing. Il y aura quand même des cours de guitare, avec Guthrie Govan, Jeff Skunk Baxter et Vernon Reid. Ça c’est la journée, et la nuit il y aura des jams incroyables.

Tu as donc évité que ça tourne à la fête du shred intégrale ?
Beaucoup de gens ne me voient que comme un shredder, mais contrairement à la croyance populaire il y a des mélodies dans mes morceaux ! Les vrais fans le savent bien, et ceux qui viennent au camp et masterclass comprennent ma musique en profondeur, souvent mieux que la presse. Il y aura bien sûr des gens pour regretter qu’il n’y ait pas que du shred, mais je ne fais pas toujours ce qu’on attend de moi !

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