Visite de l’usine Martin Guitar part 1 : L’Histoire et le musée

par Woodbrass Team

Il y a quelques jours, Woodbrass a fait partie du tout premier groupe de français à être accueilli au sein du berceau de la guitare américaine par excellence, l’usine Martin à Nazareth, un village au fin fond de la Pennsylvanie rurale. Au programme : visite de l’usine historique, visite de l’usine moderne, visite du musée, conception de modèles Custom Shop sur mesure et exploration des archives. Nous vous proposons de suivre notre épopée à travers une suite de trois articles, en commençant par le Musée Martin, qui raconte la très riche histoire de la marque. Autant vous dire qu’il y a de quoi faire.

martinmuseum

Regardez le logo sur la tête de n’importe quelle guitare produite par Martin : en dessous du logo, vous ne manquerez pas de retrouver le logo « EST. 1833 », autrement dit « depuis 1833 ». Eh oui, Martin est l’un des plus anciennes marques du monde de la musique, et des guitares portent le nom de l’ancêtre Christian Frederick Martin depuis 183 ans (préparez-vous pour le bicentenaire !), et la firme est actuellement dirigée par Christian Frederick Martin IV, la sixième génération. Au-delà de ce fameux logo de tête, Martin est très attaché à son héritage et ne manque pas une occasion d’évoquer sa riche histoire, à travers la littérature officielle comme par des rééditions et modèles inspirés des grandes anciennes. Mais le meilleur moyen de vivre cette histoire en marche est de visiter le musée Martin qui a été intégré à l’usine actuelle, rue Sycamore à Nazareth. Lorsqu’on parle de musée, ne vous attendez pas à quelques écriteaux poussiéreux jouxtant des guitares de stock B : le musée Martin est avant tout l’occasion d’admirer des guitares qui sont parmi les plus désirables de la planète. Certaines pièces datant des années 30 sont évaluées entre 500 et 700 000 dollars, et ces merveilles peuplent les rêves les plus fous des collectionneurs de tous poils. D’ailleurs, en plus des très nombreux instruments exposés, la collection du musée compte environ 1200 instruments, y compris de très nombreux prototypes, des pièces vintage et des guitares ayant appartenu à des musiciens de renom. Elles sont exposées de façon temporaire pour que chacune ait l’occasion de se faire admirer, et cette année l’exposition temporaire est bien sûr consacrée à la Dreadnought, puisque la forme inventée par Martin fête cette années ses 100 ans. Mais commençons par le commencement, il y a presque deux siècles…

Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine
Tout commence de notre côté de l’Atlantique, en Allemagne. Christian Frederick Martin naît en 1796 à Markneukirchen, en Saxe. Il est issu d’une famille de menuisiers, et son père fabrique aussi des guitares. À l’âge de 15 ans, il part à Vienne et devient l’apprenti de Stauffer, un fabriquant au style bien reconnaissable et dont les créations représentent un des sommets de la lutherie européenne. Les guitares de cette époque ont bien sûr des cordes en boyau, et les Stauffer sont reconnaissables par leur tête à six mécaniques en ligne. À son retour en Allemagne, CF Martin est pris à parti dans la bataille qui fait rage entre la guilde des fabricants de meubles et celle des luthiers de violons, qui se battent pour le droit de fabriquer des guitares. Trouvant ce système trop contraignant, il part pour New York, où il installe son atelier en 1833 (d’où la date du logo). En 1838, il s’installe définitivement à Nazareth en Pennsylvanie, où il retrouve le calme de son Allemagne natale, loin du gigantisme new yorkais. L’atelier Martin est alors installé à North Street, un bâtiment qui sert à l’heure actuelle de point de vente des bois de stock B pour les luthiers, et la maison de CF Martin a été transformée en office du tourisme de la ville. C’est entre ces murs que Martin entre dans l’histoire en développant les premiers barrages en X, une innovation d’une importance dramatique puisqu’elle permet l’évolution progressive vers les cordes en acier. Au musée, on peut donc admirer des guitares datant de ces premières années, et il est particulièrement émouvant de jouer trois ou quatre notes sur une guitare fabriquée il y a 180 ans pour se rendre compte que l’on retrouve très vite ses repères familiers. Les pièces les plus marquantes sont une guitare de style Stauffer faîte à New York en 1834, et une size 1 fabriquée en 1842 qui est le premier exemplaire retrouvé à présenter un barrage en X.

staufferGuitare Martin style Stauffer (1834)

XbraceSize 1 de 1842, la première Martin à barrage en X

Modes et dépression
L’histoire des évolutions Martin se lit comme un précieux parallèle de l’histoire des musiques populaires aux Etats Unis. À la fin du XIXème siècle, les orchestres de mandoline sont extrêmement populaires, et la firme de Nazareth accompagne ce nouveau marché avec des modèles plus ou moins décorés, dont les plus luxueux annoncent déjà le niveau de décoration des D-45 à venir. Au début du XXème, la guitare lutte pour se faire entendre dans les orchestres de musique hawaïenne, et Martin invente alors la guitare la plus grosse de l’époque (qui a toujours un aspect monstrueux à l’heure actuelle), la Dreadnought. Cette innovation de 1916, distribuée par la marque Ditson, tire son nom d’un navire de la marine britannique lancé la même année. Deux modèles sont disponibles : la 1 au corps en acajou (la future D-18) et la 2 au corps en palissandre (future D-28). Au-delà de l’innovation, le succès des D ne sera pas immédiat, et la mode se trouve plus à l’autre bout du spectre de tailles. Les années 20 sont marquées par le règne du ukulélé, un domaine dans lequel Martin se distingue par des instruments d’excellente qualité avec des barrages allégés pour plus de résonance. Mêmes le modèles tout-acajou à 10 dollars sonne bien mieux que les ukulélés concurrents, et les pièces haut de gamme en koa sont de véritables œuvres d’art. Le succès de ces petits instruments est tel que l’usine Martin s’agrandit dans un bâtiment qui jouxte l’usine historique. Mais cette embellie sera de courte durée puisque en 1929, la crise plonge les Etats-Unis dans la Grande Dépression. La guitare devient un objet de luxe, et les modèles en tout-acajou à bas prix deviennent incontournables. Pour autant, Martin n’abandonne pas la recherche et continue au contraire de proposer des guitares toujours plus fonctionnelles et luxueuses, même si elles ne se vendent pas forcément. D’ailleurs, les années 30 sont surnommées la « Golden Era », puisque c’est au cours de cette décennie que seront finalisés les instruments qui restent encore les plus populaires du catalogue à l’heure actuelle. La forme OM et les manches à 14 cases hors corps (plutôt que 12 aupravant) font leur apparition (dont une incroyable OM-45 de 1930, le véritable Saint Graal de ce musée), et les dreadnoughts connaissent un regain de succès face à la mode des cowboys chantants de Hollywood qui apparaissent à l’écran avec leurs guitares. La Dreadnought passe d’ailleurs en version 14 cases en 1934, et prend la forme qu’on lui connaît à l’heure actuelle, la forme la plus copiée par toutes les autres marques. Parmi les très belles pièces du musée, on trouve donc une D-28S de 1933, une des dernières 12 cases et l’une des premières à avoir la tête solide, sans ouverture, une D-18 de 1937 (l’archétype de la guitare acoustique !) et une D-45 de 1942, une des 91 D-45 d’avant-guerre et qui a été achetée pour plus de 200 000 dollars par Martin.

mandosQuelques mandolines Martin, des plus simples aux plus ornées

ukeUkulélé Daisy Style 5 (1930)

OM45OM-45 de 1930

D45D-45 de 1942

Folk Boom
« Au bon endroit au bon moment » pourrait résumer la place de Martin au début des années 1960. Sous l’impulsion du Kingston Trio, de Pete Seeger et de la génération du Greenwich Village de New York dont Bob Dylan, Dave Van Ronk ou Joan Baez, la musique folk connaît un essor sans précédent, le fameux Folk Boom. Les étudiants des campus dans tous les pays se réinventent en troubadours raconteurs d’histoires, et le mouvement des droits civiques choisit la folk music comme arme de conviction massive. Et le tout se strumme sur dreadnought ou se fingerpicke sur OM. En 1963, il faut trois ans de délai pour passer commande chez Martin. Pour faire face à cette demande colossale, l’usine déménage pour des locaux beaucoup plus grande en 1964. On reste à Nazareth, mais on passe de North Street à Sycomore Street, l’emplacement actuel de l’usine. En parallèle, le rock est né entre les mains d’Elvis Presley en 1954, et il avait bien sûr choisi une D-18 pour son enregistrement. La mode de la guitare électrique s’installe, à commencer par les expérimentations de Léo Fender qui deviennent une industrie à part entière. Martin essaie de se lancer avec sa série GT en 1965, et c’est d’ailleurs une GT-75 qui représente cette tentative ratée dans les vitrines du musée, ainsi qu’une 000-18 de 1942 électrifiée par Léo Fender himself. La Martin sera l’instrument incontournable de la vague Folk Rock et des singer/songwriters de Laurel Canyon (Neil Young, Crosby Stills & Nash, Joni Mitchell, James Taylor…), puis de la Country Rock des Eagles, mais l’arrivée des années 80 et leurs hordes de synthétiseurs et de boules à facettes ont bien failli avoir la peau de Martin. C’est à ce moment-là que C.F. Martin IV est arrivé à la tête de l’entreprise, en 1986, et il a pour responsabilité de naviguer à une époque où la guitare acoustique n’est plus du tout à la mode.

fender000-18 de 1942 modifiée par Léo Fender

GT75GT-75 de 1967

Prospérité et modernité
Tout cela changera dramatiquement le 25 Août 1992. Il s’agit de la date de sortie de l’album Unplugged de Eric Clapton. Sur la pochette, Eric y arbore une charmante 000-28 vintage qui servira d’inspiration pour son modèle signature, et cet album relancera à lui seul l’intérêt du grand public pour la musique acoustique. Avec 26 millions d’exemplaires vendus, il s’agit d’une publicité que Martin n’aurait même pas osé imaginer. Pour vous donner une idée de l’accélération hallucinante des ventes, il faut savoir que la guitare numéro 500 000 est sortie de l’usine en 1990 (soit une moyenne de 3184 guitares par an depuis 1833), alors que la millionième est sortie en 2004, c’est-à-dire que 500 000 guitares ont été fabriquées en 14 ans, donc 35714 guitares par an, dix fois plus ! Dans les années 90 et 2000, plus de 150 éditions limitées signature sont conçues avec des musiciens aussi divers que Sting, Johnny Cash ou Paul Simon, et ce sont en majorité des prototypes de ces modèles qui sont présentés au musée pour représenter cette époque. Bien sûr, Martin ne s’est pas reposé sur ses lauriers et a au contraire proposé des innovations qui sont devenues des références du marché, de la Bagpacker dans les années 80 aux séries Performing Artist qui allie manche ultra fin et système électroacoustique de qualité. Enfin, une petite pièce à l’écart de la chronologie traditionnelle du musée met en scène la collection de CF Martin IV lui-même. On y trouve la première guitare qu’il ait fabriquée, des prototypes, un magnifique modèle de taille réduite conçu pour sa fille ainsi que de nombreuses œuvres d’art au mur mettant en scène des chansons de Johnny Cash et Hank Williams, ce qui nous ramène une fois de plus à la raison d’être de tous ces instruments qui nous entourent : faire de la musique, et traduire ses idées par la vibration des cordes.

cobainD-18 de 1935 ayant appartenu à Kurt Cobain et Elliott Smith

chrismartinLa collection personnelle de CF Martin IV

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