Sylvain Beuf (saxophoniste) – Interview

Par Woodbrass Team

Les frontières musicales ne sont plus aussi claires qu’elles ne l’ont été, et le mélange est de mise afin de continuer d’explorer toujours plus loin les limites de la créativité artistique. Sylvain Beuf est une référence du saxophone français depuis la fin des années 80, et il voyage en électron libre entre rock, jazz et pop pour un mélange profondément personnel dans lequel son grain magnifique fait office de dénominateur commun. Il sera sur la scène du Triton des Lilas (proche banlieue parisienne) le vendredi 19 février avec son quartet pour une soirée qui promet d’être électrique.

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Quelle a été ton éducation musicale ?
Je suis saxophoniste de jazz, et en tant que tel je suis issu d’une tradition, celle de la musique des années 50 et 60 : Charlie Parker, John Coltrane, Miles David et Thelonious Monk. Ce sont ces quatre-là qui m’ont amené au jazz. Parallèlement, j’ai eu la chance de grandir avec deux frères musiciens, et mon grand frère écoutait beaucoup de disques de rock. Avant le jazz donc, j’ai eu une vraie culture classique et rock. J’ai débuté le saxophone par le classique, et à côté de ça j’ai commencé la batterie en autodidacte complet dans un groupe rock. J’ai appris sur le terrain avec un groupe qui répétait tous les samedis dans une cave.

Quels étaient alors tes batteurs de référence ?
J’aimais beaucoup les groupes anglais, notamment Stewart Copeland de The Police, Phil Collins et Chester Thompson dans Genesis, Bill Brufford dans Yes, et évidemment Keith Moon dans les Who et Charlie Watts dans les Rolling Stones. D’ailleurs Watts a aussi fait du jazz, j’aimerais bien faire un album entre jazz et rock avec lui ! En rock les Stones sont vraiment mon groupe préféré, ils ont un côté sauvage et brut qui me parle, en répétition ils font tourner le même riff pendant une heure en attendant qu’il se passe quelque chose, ce sont des façons anciennes de travailler. J’ai énormément écouté Genesis, notamment The Lamb Lies Down On Broadway dont l’aspect littéraire du concept m’a inspiré, ainsi que Weather Report pour la musique des années 80, en parallèle de mon parcours pop.

Comment en es-tu arrivé à ton quartet actuel ?
A un moment dans mon parcours de musicien de jazz, je suis donc revenu à ces origines électriques. La seule chose que je n’avais pas faîte c’était d’enregistrer avec un guitariste. Il fallait quelqu’un qui soit issu du jazz pour avoir la bonne réactivité à l’improvisation. J’avais rencontré Manu Codjia au début des années 2010, on avait vraiment envie de faire quelque chose ensemble, ce qui est arrivé un an plus tard. J’en étais à mon huitième album en tant que leader, et j’ai proposé le projet à Manu. J’aimais beaucoup le jeu du batteur Julien Charlet dans d’autres formations, il est très énergique et il a beaucoup de groove, il est très ouvert par rapport à un jeu plus traditionnel jazz, et c’est lui qui m’a présenté le bassiste Philippe Bussonnet. La formule a tout de suite marché. On a joué pendant un an dans des clubs, et cette partie live a soudé le groupe autour de ce répertoire. Début 2012, nous avons donc enregistré l’album Electric Excentric. Derrière ça il y a eu deux belles années de concerts, et j’ai continué d’écrire pour ce groupe en amenant des nouveaux morceaux au fur et à mesure. Au bout d’un an et demi le nouveau disque Plénitude était quasiment prêt. Je voulais apporter des matériaux plus simples pour laisser la place aux musiciens de s’investir, pour encourager une démarcher créative au sein des morceaux, plutôt que faire comme je le faisais jusque là, c’est-à-dire d’apporter des morceaux extrêmement aboutis. J’aimerais faire un disque plus rock, à ce titre le morceau Open Mind annonce bien la direction qui va venir, avec des rythmiques rock et de l’espace, sans oublier le travail très ciselé des lignes mélodiques.

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Quel est ton matériel ?
Je joue les anches D’addario La Voz et Select Jazz depuis pas loin de 30 ans, quasiment depuis mes débuts dans le jazz ! C’est un produit incontournable, une valeur sûre. Pour les becs je suis assez versatile mais j’ai adopté les François Louis, un luthier belge avec qui j’ai eu un excellent rapport. J’ai été l’un des derniers saxophonistes pour qui il a fait un bec sur mesure, le fait à la main reste irremplaçable. Avant ça j’utilisais les becs Fred Lebel qui sont très stables et ont une belle rondeur. Je n’aime pas les becs qui donne une sonorité trop brillante un peu caricaturale dont tu ne peux pas sortir. Je jouais les instruments Selmer depuis très longtemps, mais leurs saxophones sont avant tout mis au point par des musiciens classiques. Je cherche un instrument très juste, là-dessus je suis intransigeant, mais aussi des instruments avec une belle générosité et des bonnes sensations. J’ai fait la rencontre de Jupiter, j’ai découvert la marque XO qui est autonome dans l’usine Jupiter, et ce sont vraiment les instruments que j’attendais depuis longtemps. J’étais parti dans l’idée d’acheter de vieux instruments, mais le réglage est toujours problématique. Je n’étais pas forcément acquis à Jupiter en les essayant il y a quelques années, mais ils ont fait énormément d’efforts avec XO. La dimension artisanale y est la plus importante parmi les fabricants actuels. Les bocaux sont fabriqués à la main, c’est de l’argent massif, l’ergonomie et la précision mécanique sont excellents. Le confort de jeu est tel que tu es vraiment dans la musique, sans te poser de questions.

Comment en es-tu arrivé à développer ton son ?
Ce sont des prises de conscience. Le son d’un saxophoniste est lié à sa façon de chanter : le travail de la technique vocale et de l’intonation est très important de ce point de vue. La technique du saxophone ne consiste pas uniquement à remuer les doigts, il faut qu’il y ait concordance entre l’esprit et le jeu. Je pense également qu’il faut éviter de jouer trop fort pour centrer sa colonne d’air et donner un maximum d’énergie au son. Et puis il y a bien sûr la respiration. Plus les sensations dans le matériel sont agréables, plus le musicien peut être détendu.

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