Chuck Berry – le roi est mort, vive le roi !

Sale dimanche pour le rock… Chuck Berry s’en est allé faire la duck walk ailleurs le 18 mars 2017, et même si à 90 ans on ne va pas jouer les surpris, il faut quand même un moment pour avaler la nouvelle. L’homme qui a écrit la plupart des règles du jeu pour les guitaristes de rock du monde entier nous a quitté, et même si les hommages se succèdent à un rythme que même le départ de Bowie n’avait pas suscité, il est difficile de bien décrire l’importance colossale de monsieur Berry. Ce qui n’empêche pas d’essayer bien sûr.

Par Woodbrass Team

Chuck-berry1

Les torchons à sensation se sont bien sûr empressés de rappeler les séjours récurrents de Charles Edward Anderson Berry en prison, ses déboires avec la justice et son côté roublard de touts points de vue. Certes l’homme était vénal, sans doute pas commode de prime abord (on se souvient du magnifique vent auprès de Keith Richards qui venait lui serrer la main pour son concert d’anniversaire), et la musique était un business plus qu’une forme d’art pour lui, de ses débuts où il doublait ses cachets en jouant dans deux clubs à la fois tous les soirs jusqu’à la fin de sa carrière où il jouait avec des musiciens loués pour la soirée sans répétition préalable, et en se faisant payer une rallonge en cash pour chaque rappel. Mais depuis quand demande-t-on aux génies d’être des personnes intègres et morales ? Et dans le cas de Chuck, le terme de génie est loin d’être galvaudé.

Influences
Tout commence en 1926 à St Louis, dans le Misouri. Le jeune Chuck grandit au son des offices baptistes que célèbre son père, mais c’est la musique profane qui finit par le bouleverser et lui donner l’envie de gratter et de chanter. Il emprunte le swing nerveux et le sens de spectacle de T. Bone Walker, son jeu de guitare tout en double-stops qui mêle blues et jazz se rapproche beaucoup du génial texan et, comme lui, il attire l’attention du public en jouant de la guitare entre ses jambes ou dans son dos. Il développe même son élément de jeu de scène signature, la fameuse duck walk que Angus Young d’AC/DC lui empruntera à son tour sur les scènes du monde entier. Côté chant, il vénère Nat King Cole, le jazzman qui a fini par s’imposer auprès du public pop, et ce talent du crossover l’inspire profondément. Chuck Berry veut atteindre le succès, et il comprend que ce succès passera par le mélange musical, et qu’en mélangeant les influences il élargit de façon exponentielle son public potentiel. C’est d’ailleurs dans ce talent du crossover que le rôle sociétal de Chuck a été le plus important. Il a été parmi les pionniers de la mixité raciale en musique populaire, autant dans sa création même (écoutez donc son premier single, Maybellene, qui mélange parfaitement musique blanche country et musique noire blues) que dans son public. Dès 1953, il joue dans le trio du pianiste Johnnie Johnson, à qui il empruntera d’ailleurs nombre de plans adaptés pour la guitare, et intègre progressivement de la country dans leur mélange, poussant ainsi le public noir à dépasser ses préjugés.

043_sw_sdlszbf140f-nh

Golden years
En 1955, Chuck arrive à Chicago où il rencontre Leonard Chess par l’intermédiaire de Muddy Waters. Leonard Chess dirige la maison de disques Chess Records, la Mecque du Chicago Blues qui a déjà connu un succès considérable en faisant connaître des artistes aussi importants que Bo Diddley, Howlin’ Wolf et justement Muddy Waters. Etant donné l’orientation du label, Chuck joue surtout du blues pour son audition, mais c’est un morceau country qui retient l’attention de Chess, qui cherche alors à diversifier son public. Son premier single made in Chicago est le légendaire Maybellene, un tube immédiat qui devient la plus grosse vente du label. Tout y est, de l’intro de guitare avec un son à la fois sombre et poisseux à l’impressionnante diction soutenue par un rythme implacable. Dès lors les tubes s’enchaînent à un rythme qui force le respect : Thirty Days, Roll Over Beethoven, Too Much Monkey Business (dont le débit vocal très impressionnant a fait dire aux spécialistes qu’il s’agit d’un des premiers rap de l’histoire, et qui inspirera fortement Subterranean Homesick Blues de Bob Dylan), You Can’t Catch Me, Rock n’ Roll Music, Sweet Little Sixteen (que les Beach Boys reprendront sous le titre Surfin’ USA), et bien sûr le monument absolu, le riff incontournable qui continue encore de révéler le pouvoir de la guitare électrique à des générations de guitaristes, l’indémodable Johnny B. Goode. Ce son incroyable vient d’une ES-335, encore neuve à l’époque, qui est venue remplacer la grosse ES-350 plus typée jazz qu’utilisait Chuck auparavant. Dès lors, il restera fidèle aux semi-hollow de chez Gibson pour le restant de sa carrière, la ES-355 était le modèle auquel il est le plus souvent associé.

Grandeur et décadence
Après un passage en prison au début des années 60, il connaît une deuxième carrière lorsque sa musique est reprise et exposée à un public encore plus large par la nouvelle génération de groupe britanniques qui revendique ouvertement son influence. Les Beatles reprennent Rock n’ Roll Music et Roll Over Beethoven, et les Rolling Stones reprennent Come On en guise de premier single, débutant ainsi une discographie vieille de 54 ans par un hommage à Chuck. Même en France, les rockeurs adaptent son répertoire, ce qui donne des choses assez cocasses comme No Particular Place To Go qui devient « à crédit et en stéréo » chez Eddy Mitchell. Tout guitariste digne de ce nom s’évertue alors à reprendre ses plans, et le maître en profite pour tourner en Europe et développer ainsi son public fraîchement acquis. Il se fait accompagner par des groupes assemblés pour l’occasion dans chaque ville, ce qui lui évite de payer l’hôtel et l’avion pour des musiciens fixes, et le hasard de l’histoire fait que Bruce Springsteen et Jimi Hendrix, des inconnus notoires à l’époque, se retrouvent à lui faire la guitare rythmique pour un soir, suivant le patron tant bien que mal dans ses variations de tonalité de dernière minute. Son dernier single à succès date de 1972, le douteux My Ding A Ling, et son dernier album longue durée date de 1979. Pour autant, Chuck n’a jamais cessé de tourner et sa musique n’a jamais cessé de passionner les foules. En 1985, sa musique est au centre du blockbuster Back To The Future. Le single de 1964 You Never Can Tell connaît un regain d’intérêt mondial en 1994 lorsqu’il est la bande originale d’une scène mémorable du film palme d’or de cette année, Pulp Fiction. Enfin, l’année dernière, il avait annoncé son premier album en 38 ans, Chuck. Espérons que l’album était déjà prêt et que nous aurons la chance d’écouter ce chant du cygne comme le patron l’avait conçu. La musique de Chuck continuera de lui survivre pendant longtemps encore, sur Terre comme dans l’espace puisque Johnny B. Goode fait partie des titres sélectionnés pour le disque d’or embarqué à bord de la navette Voyager en 1977. Si les extraterrestres sont tombés dessus, il y a fort à parier qu’ils se sont eux aussi mis à la guitare.

chuck-berry

Laisser un commentaire