par Woodbrass Team
Doyle Dykes est un monument de la guitare country / fingerpicking, dans la lignée de son mentor Chet Atkins. Connu comme le loup blanc à Nashville, il a joué avec tout le monde, et sa virtuosité n’a d’égal que son sens de la mélodie bien articulée et du voicing d’accord imparable. Le 11 octobre, il était en showcase au Woodbrass Store Guitare en partenariat avec la marque qu’il défend et représente, Godin. Les canadiennes dans les mains de l’américain ont rarement aussi bien sonné, et nous avons eu la chance de nous entretenir longuement avec un Doyle peu avide de son temps, aussi généreux que son jeu.
Revenons un instant sur tes partenaires passés : comment es-tu passé de Taylor à Guild ?
J’ai été chez Taylor pendant très longtemps, mais ils ont changé de direction et j’ai eu l’impression que j’arrivais à la fin de ce que je pouvais faire pour eux. Je venais de devenir grand-père et je me suis donc dit que c’était le bon moment pour amener du changement dans ma vie ! Je suis très proche de Larry Thomas, qui était le directeur de Fender à l’époque, et il m’a expliqué qu’ils avait besoin d’aide pour promouvoir la marque Guild qui leur appartenait. Je sentais donc qu’on avait besoin de moi là-bas, j’y suis donc allé ! Je suis cependant resté en très bon termes avec Bob Taylor et Kurt Listug (les deux fondateurs de Taylor).
Tu as eu ton modèle signature dans les deux marques. Quelles étaient tes demandes ?
L’idée d’une guitare signature venait de Taylor, je ne leur avais rien soufflé ! Je ne l’avais pas demandé à Guild non plus mais ils me l’ont proposé, et j’avais plein d’idées ! Nous avons discuté avec Ren Ferguson, le luthier qui dirigeait l’usine Ovation qui fabriquait les Guild, et je leur ai demandé un diapason bien particulier, 25 pouces et quart. Nous avons conçu une 12 cordes, et étions en train de travailler sur un modèle très proche de la Godin Multiac, avec ce même concept de guitare sans caisse. Mais ce modèle n’est jamais sorti puisque l’usine Guild a fermé, et ils ont donc vendu la marque.
Quelles guitares jouais-tu lorsque tu n’étais plus endorsé ?
Je me suis alors demandé : « si tu pouvais jouer n’importe quelle guitare sans te soucier du prix ou de la marque, laquelle prendrais-tu ? », et la réponse était une Olson ! (James A. Olson est un luthier américain qui fabrique notamment des guitares pour James Taylor et dont les modèles coûtent 15 000 dollars et plus) J’ai donc parlé à James Olson, et comme par hasard il avait une guitare disponible alors qu’en temps normal il faut toujours attendre ! Un autre guitariste lui avait proposé beaucoup d’argent pour cette guitare, mais il préférait que je l’aie. Je la lui ai donc acheté, puis il m’en a construite une autre avec un pan coupé et une rose incrustée sur la tête. La rose a toujours été mon symbole.
Comment en es-tu arrivé à Godin ?
Ma femme, avec qui je suis depuis 43 ans donc elle me connaît très bien, m’a dit qu’elle n’imaginait pas que je finirais par redevenir l’ambassadeur d’une marque. Je lui ai répondu que moi non plus ! J’étais très heureux avec mes guitares à 20 000 dollars, à jouer ce qu’il existe de mieux, mais mes amis me disaient tous « tu devrais jouer une Godin ». J’avais l’impression que partout où j’allais, les gens me parlaient de Godin ! Bob Rebonas, qui travaillait chez Taylor et s’occupe désormais des relations artistes chez Godin, m’a demandé si j’allais être au NAMM, il voulait m’envoyer une guitare. Je lui ai répondu que je ne serai pas à la maison pour la réceptionner vu que j’étais sur la route, mais que j’essaierai de passer le voir au NAMM. Quand je suis arrivé Robert Godin m’a accueilli en ouvrant grand les bras, il m’a dit « où étais-tu ? Ça fait des années que nous t’attendions ! ». Le public de guitaristes m’avait manqué, j’aime faire des masterclasses, des démos et des clinics. La camaraderie qui est de mise dans ce milieu me fait beaucoup de bien, c’est un peu comme un groupe de soutien ! Me voilà donc avec Godin pour notre première tournée commune, je fais le tour de l’Europe cette semaine et je vais jouer en Chine la semaine prochaine.
Quels sont tes modèles préférés chez Godin ?
Robert m’a dit qu’il voulait me faire un modèle signature, et nous verrons ce que cela peut devenir, mais j’ai vraiment des atomes crochus avec la Multiac. J’aime aussi les Seagull, mais lorsque je suis en concert et que je joue fort, les Multiac sont idéales. Elles fonctionnent vraiment, elles sont faciles à transporter et elles ne coûtent pas un bras ! Toutes les guitares que je jouais auparavant étaient des instruments haut de gamme. Cette fois-ci je joue sur des guitares plus accessibles, c’est une bonne chose. Et pour certaines utilisations c’est même l’idéal. Tu peux remplir une salle de son sans avoir à te soucier du feedback, et tu conserves la réactivité dynamique d’une acoustique. D’ailleurs ce sont des vraies acoustiques, même si le corps est très fin. La table a quand même un barrage comme sur une Taylor ou une Martin. Quand je monte sur scène, je ne veux pas avoir à penser à quoi que ce soit, si tu es seul et que la balance prend plus de dix minutes c’est que ta guitare n’est pas la bonne. Une bonne guitare et un bon ampli, c’est tout ! Pour cette masterclass à Woodbrass j’utilise un Acus, ça marche parfaitement.
Tu joues sur deux amplis n’est-ce pas ?
J’aime mélanger un ampli acoustique et un ampli à lampes si j’en ai la possibilité. Tu obtiens ainsi une chaleur que seule la lampe peut donner, tout en conservant la largeur de fréquences et de dynamique d’un ampli acoustique. Aujourd’hui j’ai un petit Peavey Classic qui sonne très bien, en général les Fender fonctionnent toujours, et bien sûr mon ampli idéal reste le Rivera Sedona, j’ai participé à sa conception. À l’origine le Sedona devait être mon ampli signature. Paul Rivera et moi avons passé beaucoup de temps sur ce design à la fin des années 90, avant même que Taylor ne me fasse un modèle signature. C’est un ampli acoustique entièrement à lampes, c’était mon idée !
C’est étonnant que cette idée ne se soit pas répandue, une marque comme Fender pourrait facilement proposer un ampli acoustique à lampes pour les budgets limités.
Tu ne crois pas si bien dire, ils m’en ont fabriqué un ! Le Rivera est une Rolls, mais la version Fender était très bien aussi, un Deluxe revu pour l’acoustique avec un tweeter et une sortie DI. Je l’ai amené au NAMM pour les pousser à le fabriquer en série ! Mais le Rivera reste ma fierté, il a même une DI à lampe intégrée. Quand je joue sur la scène du Grand Ole Opry (la scène la plus prestigieuse et légendaire de Nashville) c’est ce que j’amène.
Reprends-tu ce système à deux amplis sur scène ?
Eric Johnson est un très bon ami, et lorsque j’enregistre à son studio, il m’arrive d’utiliser ses amplis si je n’amène pas les miens. Je prends généralement deux Fender Deluxe Reverb, et je mets un Royer R121 ainsi qu’un SM57 sur chaque ampli. Je sors une ligne DI dans la console, je mets son couple de Neumann KM56 sur la guitare, et j’ai un micro 5.1 pour l’ambiance de la pièce. En tout tu arrives donc à 11 ou 12 pistes pour une guitare seule ! Tu peux les utiliser ou pas dans ton mix, mais elles sont là, et c’est très amusant à mixer puisque tu as beaucoup de choix. La Duel Ambiance Godin permet de retrouver ce genre de prise de son, ils ont analysé numériquement les micros que j’aime pour les reproduire.
Avais-tu peur que ton image soit ternie après être passé par trois marques différentes ?
J’avais peur de ce que les gens de Godin penseraient, et ce que le public se mettrait aussi à penser. Je suis un guitariste, j’aime ces guitares et je pense qu’elles sont excellentes. Il y a beaucoup de très bonnes guitares sur le marché, beaucoup plus que lorsque j’ai commencé. Godin a beau être une très grande compagnie qui existe depuis 40 ans, je les vois comme un géant endormi, et je pense qu’ils vont exploser. C’est un très bon moment pour que Godin rencontre le succès qu’ils méritent, et j’espère faire partie de ça. Je ne peux pas passer à ma vie à me demander ce que les gens vont en penser, il faut avancer et l’opportunité était là. Je crois que Dieu guide mes pas et qu’il m’a donné cette chance. Etant donné les circonstances de notre rencontre, on peut parler de God-In ! (jeu de mot entre God, « dieu » en anglais, et Godin).