Interview – Jim Rosenberg (Epiphone)

Par Woodbrass Team

Son nom ne vous est pas inconnu si vous êtes accro à la guitare : Jim Rosenberg n’est autre que le directeur des guitares Epiphone, une marque qui a longtemps vécu dans l’ombre de Gibson mais est depuis parvenue à exister d’elle-même. Nous avons rencontré Jim au NAMM 2014 pour un entretien passionnant.

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Quel a été ton parcours ?
Je jouais de la guitare à la fac, et j’ai ensuite rejoint EMU systems (un fabricant de synthétiseurs et de cartes sons). J’étais leur neuvième employé, et j’ai vraiment commencé au bas de l’échelle. Tout le monde y faisait plein de choses différentes. Je m’occupais du stock, j’assemblais les claviers, je soudais les circuits imprimés, je faisais les gros câbles qui reliaient les cartes PC entre elles… EMU a grandi très vite, et je me suis retrouvé à m’occuper du management des projets de développement. Dans ce business, surtout dans les années 80, il faut sortir des nouveaux produits en permanence, et j’étais responsable du calendrier de ces sorties. Je suis ensuite passé au marketing, et j’ai terminé mes 10 ans de carrière chez eux en tant que vice-président du marketing. J’ai beaucoup appris là-bas, c’était une excellente société. EMU a ensuite été rachetée par Creative, la compagnie qui faisait la carte son Soundblaster, et il y a beaucoup de changements. On m’a alors proposé un poste de chef de produits chez Gibson. C’était en 1992, et ils étaient en pleine reconstruction de la marque qui avait été rachetée en 1986. Ils ne faisaient alors pas grand-chose avec Epiphone, et ils m’ont donc demandé de me pencher sur le sujet. Je ne connaissais pas vraiment cette marque mais plus je me penchais dessus, plus je me rendais compte de son énorme potentiel. L’Histoire d’Epiphone est très riche, l’année dernière nous avons fêté les 140 ans de la marque. Il fallait quelqu’un pour investir de l’attention et lui permettre de grandir. J’ai donc passé beaucoup de temps en Corée, à travailler directement avec les usines, Dave Berryman (le co-propriétaire de Gibson) et moi avons établi un bureau là-bas. Nous avons établi un contrôle scrupuleux des guitares, et en 3 ans les ventes ont explosé. La marque est devenue beaucoup plus importante, et nous avons décidé de donner un visage à cette société : c’est ainsi que je suis devenu le directeur d’Epiphone, un poste que j’occupe maintenant depuis 22 ans.

Comment définirais-tu la différence entre Epiphone et Gibson ? N’est-ce qu’une question de prix ?
Il y a 22 ans, Epiphone faisait des copies bon marché de Les Paul et de SG, et il y avait une grande différence entre les deux marques. Mon but depuis le début a été d’établir la marque comme une entité à part, de la faire sortir de l’ombre de Gibson. Au fur et à mesure, nous avons continué de faire des copies de Les Paul et de SG mais nous avons aussi ajouté des éléments que Gibson ne pouvait pas se permettre, comme sur la Ultra III par exemple. Nous avons aussi puisé dans l’héritage de la marque pour retrouver ce qui est proche à Epiphone : les Wilshire, les Sheraton, les Casino, les Texan, l’ampli Century… Ces designs sont si propres à Epiphone qu’ils permettent de nous distinguer de Gibson. Bien sûr il y a une différence de prix, mais ça n’est plus le premier critère.

Quelle est l’image de Epiphone pour toi ?
C’est un riche héritage. Les designs de la marque ont toujours été excentriques, un peu bizarres. A l’époque où je commençais chez Epiphone, j’ai discuté avec Andy Nelson qui était leur chef produit en 1962. Il a eu un rôle considérable dans ce business, et il m’a donné un carnet de notes de l’époque, avec des dessins de ses idées. Il adorait le E, il voulait le mettre partout, il avait même conçu une tête en forme de E ! Même les noms devaient commencer par E : Excelsior, Escort… J’ai beaucoup appris avec lui. Gibson est tenu de respecter la tradition, alors que Epiphone peut se permettre ces bizarreries, c’est un peu le grand frère excentrique…

Dirais-tu aussi que Epiphone sert de département Recherche et Développement pour Gibson ? Il y a par exemple le split des micros qui existait depuis longtemps chez Epiphone et qui est récemment apparu sur les Gibson Les Paul Standard.
Ça n’est pas présenté comme ça officiellement, mais je vois tout à fait ce que tu veux dire. Nous pouvons nous permettre d’essayer des choses, nos clients sont différents.

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Il y a aussi des modèles signature qui n’existent pas chez Gibson, je pense notamment à la Zakk Wylde Graveyard Disciple.
Lorsque j’ai commencé chez Epiphone, nous n’avions pas de vrais artistes. Mais à force de développer notre image de marque et la qualité de fabrication, nous avons pu profiter de certains artistes Gibson. Zakk est un bon exemple : il joue sur Gibson, le Custom Shop lui a fait la fameuse Bullseye, et nous avons fait une version moins chère de ce modèle. Alors que nos relations avec les artistes se sont développées, ils sont devenus plus à l’aise avec la marque, ils s’y sont attachés, et nous avons donc commencé à développer un dialogue à part. Gibson n’aurait jamais fait un Graveyard Disciple, puisque personne ne l’aurait achetée à 3000 dollars tandis que pour 800 dollars il y a déjà plus d’intéressés. La plupart des artistes sont sensibles à la situation du gamin de 20 ans qui veut s’acheter une bonne guitare mais n’a pas beaucoup d’argent, et ils conçoivent leurs modèles Epiphone pour ces fans là.

Dirais-tu que Epiphone est à Gibson ce que Squier est à Fender ?
Tu te doutes bien que je n’ai pas vraiment envie de parler de ces marques, mais je pense que les situations sont différentes. Epiphone existe depuis 1873, et s’est développé comme une marque indépendante, tandis que Squier a été conçue comme une version moins chère de Fender dès le départ.

Comment fais-tu le lien entre le Epiphone de maintenant qui doit se développer en référence à Gibson et l’histoire glorieuse de la marque qui a été jouée par les Beatles ou par Steve Mariott (qui jouait sur une Coronet à l’époque de Humble Pie) ?
Le premier pas a été de réintroduire les modèles originaux. Dès que nous avons sorti les Crestwood ’62, tout le monde s’est mis à parler des gens qu’ils avaient vu jouer sur des modèles d’époque, et la notoriété du modèle s’est reconstruite par là.

PRESS_1964Coronet1D’ailleurs le prix des Crestwood vintage s’est envolé lorsque vous avez ressorti ce modèle.
Oui tout à fait. Il suffit de rappeler aux gens que ces guitares ont leur place dans l’Histoire, et ils seront prêts à le reconnaître. Il y a encore plein de modèles que nous allons ressortir dans un futur proche : les Coronet, la Casino de 62, comme celle que jouait McCartney avec les P90 noirs et la tête différente de celle de Lennon.

De nombreux luthiers indépendants font des copies de Coronet et de Crestwood puisque ce sont des modèles moins communs que la Les Paul Junior et la SG Junior. Ne penses-tu pas que Epiphone devrait occuper ce marché en sortant des modèles haut de gamme fabriqués à la main aux Etats Unis ?
Je ne sais pas… Une guitare faîte à la main aux Etats Unis a forcément un côté romantique qui lui est attaché, mais ça n’est pas ce que nous sommes à l’heure actuelle. Nous cherchons à faire d’excellentes guitares en grande quantité pour les commercialiser dans le monde entier. Nous ne sommes pas un Custom Shop.

Personnellement, je préfèrerais acheter une réédition de Casino à 3000 euros plutôt qu’une réédition de Gibson ES-330 à ce prix. Le modèle est le même mais l’héritage n’a rien à voir.
Pour ça il y a la Casino Elitist qui est fabriquée au Japon. Mais je pense que nous devons nous concentrer sur une seule chose et tâcher de faire cette chose le mieux possible. La production américaine est un autre univers. Je ne veux pas diviser mon attention, je veux concentrer nos ressources et notre temps sur les gammes bon marché.

On pourrait d’ailleurs dire que Gibson est face à ce problème, puisqu’ils fabriquent des guitares dont les prix vont de 600 à 15 000 euros.
Oui, mais en même temps l’entreprise a été divisée en départements aux tâches très claires : il y a une usine pour les acoustiques, une usine pour les solid body, un Custom Shop… La qualité de leurs instruments a progressé dès l’instant où ils ont décidé de permettre à chaque usine de se concentrer sur une chose à la fois.

epiphone-casino-vintage-sunburstComment expliques-tu la rareté des modèles Elitist japonais ?
Nous les fabriquons, et nous ne refusons jamais de commande. Par conséquent, si tu n’en trouves pas, c’est que les magasins ne prennent pas le risque de les stocker, ils ne veulent pas d’une Epiphone à 3000 dollars. Mais il y a beaucoup de fans des Elitist, et nous allons d’ailleurs présenter deux nouveaux modèles plus tard dans l’année. Cette gamme est plutôt réservée aux magasins spécialisés dans le haut de gamme qui peuvent se le permettre. Ça n’intéresse pas les Guitar Center (Les chiffres de production n’ont rien à voir avec les modèles à 399 dollars, c’est un peu notre Custom Shop à nous.

Quelle est votre guitare la plus vendue ?
Quand j’ai commencé, les modèles les moins chers étaient tous inspirés de la Strat, qu’il est possible de fabriquer à moindre coût puisque le corps est plat et le manche est vissé. Nous avons donc sorti la Special II pour nous battre sur ce terrain, avec le manche vissé et la table non sculptée. En terme de volume, la Special II sunburst est notre best seller.

Tu es guitariste toi-même n’est-ce pas ?
Tout à fait.

Quelle est ta guitare de choix ?
Je joue essentiellement en fingerpicking, et ma guitare principale est donc une Masterbilt EF500RCEE.

Et en électrique ?
Une Casino John Lennon.

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