Marcus Miller – Interview

Par Woodbrass Team

Photos par Jérôme Lagaillarde

Les fidèles lecteurs de ce blog connaissent bien l’association Les Petits Riens qui travaille étroitement avec Woodbrass. Leur mission d’amener l’art, la musique et la danse aux enfants et adolescents les moins exposés est même arrivée aux oreilles de Marcus Miller. Cette légende vivante de la basse, ancien protégé de Miles Davis himself, est aussi ambassadeur culturel de l’UNESCO et à ce titre il ne rate jamais une occasion de partager ce genre de moments privilégiés. Il a pris une après-midi entière pour jouer avec un orchestre d’enfants (tous équipés Eagletone !), entre autres sur le classique « Jean-Pierre ». Les Petits Riens n’avaient pas chômé, puisque les danseurs aussi avaient préparé des chorégraphies sur des morceaux marquants de Marcus, et ce dernier a bien voulu nous accorder une interview, le tout dans un français quasiment parfait. La classe.

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Comment vois-tu ta mission pour l’UNESCO ?
Pour moi, l’UNESCO est un peu l’armée du salut des Nations Unies. Ils font vraiment tout pour promouvoir la communication, la paix et le partage entre cultures. Il y a une époque où il s’agissait d’une institution marginale, mais depuis quelques temps elle soulève un intérêt gigantesque. C’est fou ! Je pense que c’est le résultat d’années de travail acharné dans la discrétion, et l’Internet a aussi beaucoup aidé. Ils prennent ce qu’ils font très au sérieux et sont conscients des défis qu’ils rencontrent. Ils m’ont proposé de devenir un Artist For Peace. J’étais présent lorsque Herbie Hancock a reçu ce titre avant moi. J’ai demandé en quoi consisterait ma mission, ils m’ont répondu que j’irais visiter des écoles, et parler à des enfants de 12 ou 13 ans, ce que j’adore faire ! Je le ferais même si je ne travaillais pas avec l’UNESCO. Avec leur aide, j’ai continué de faire ce que je faisais mais à une autre échelle, puisqu’ils m’ont permis de toucher beaucoup plus de gens.

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Herbie Hancock, qui a lui aussi été un Artist For Peace à l’UNESCO, définit le jazz comme la musique démocratique par excellence. Quel est ton avis sur la question ?
On demande à un musicien de jazz d’avoir son propre point de vue, ton propre style. Si tu joues comme quelqu’un d’autre, tu ne reçois pas de respect que tu recevrais si tu prenais la peine de trouver qui tu es. Tu te trouves, tu amènes ce point de vue au groupe et tu trouves une façon de faire fonctionner tous les points de vue ensemble. Chaque personnalité est une opportunité, mais il faut te trouver avant ça. On retrouve ce même mouvement à l’échelle du monde : nous avons toutes ces cultures différentes, et nous ne leur demandons pas de changer. Nous avons la mission de trouver un moyen de les faire coexister.

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Parle nous du concept de ton dernier album, Afrodeezia.
Lorsque l’UNESCO m’a contacté, ils m’ont parlé de leur projet Slave Routes qui vise à diffuser l’histoire de l’esclavage auprès du grand public. J’aurais pu n’être qu’un artiste passif et les laisser utiliser mon nom sans en faire plus, mais j’ai décidé d’aller plus profondément que de faire quelques discours aux Nations Unies. J’ai choisi d’illustrer leur message de façon musicale, et d’explorer le chemin qu’ont pris mes ancêtres : le Maroc, le Sénégal, le Brésil, les Caraïbes, l’Amérique du Sud. J’ai conçu chaque morceau comme une exploration de ces pays, pour arriver au dernier titre I Can’t Breathe, sur lequel le rappeur Chuck D. expose la situation actuelle.

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Pour autant la lutte contre l’esclavage, même sous des formes plus insidieuses, n’est pas terminée.
Bien sûr, je ne suis pas aveugle et il existe de nombreuses formes d’esclavage moderne. Mais il est aussi important de réaliser le chemin parcouru, et l’esclavage comme institution économique est terminé aux Etats Unis. Je voulais célébrer cela, et célébrer la musique qui est sortie de cette situation d’oppression.

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Quelle est la plus grande leçon que tu as apprise en jouant avec Miles Davis ?
« Trouve qui tu es, et sois la meilleure version possible de cette personne. » Il m’a fallu un moment pour véritablement appliquer cette leçon, mais je pense qu’elle est absolument vraie. Miles était absolument unique, il ne ressemblait à personne. Il ne s’est jamais demandé si il jouait aussi bien que Charlie Parker. Il a été influencé par lui à ses débuts mais dès les années 50 il avait trouvé sa voie.

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Tu jouais sur le stand Dunlop / MXR au NAMM. Où en est ton matos ?
J’ai une excellente relation avec MXR, j’ai beaucoup de pédales. Mes préférées sont la Bass Octave Deluxe, le Delay et le Phase 90. Mais si je ne m’en sers que pour deux notes, j’aime l’avoir au pied. J’ai aussi deux overdrive Fulltone, la OCD et la Fulldrive 2 Mosfet. Côté amplis, j’ai longtemps joué sans me soucier de ça puisqu’en studio j’avais toujours une D.I., mais j’ai réalisé qu’il fallait que je me penche sur mon son. En live je cherchais un son avec un peu de saturation et un médium prononcé. En studio, l’ingénieur qui mixe peut chercher ça dans mon son D.I., mais en live il faut que la viande soit là. Je dois pouvoir me faire entendre sans que mon son ne soit trop dur. La façon la plus simple de le faire est de monter les fréquences autour de 3kHz, mais esthétiquement ça n’est vraiment pas idéal. J’ai donc cherché mon propre son. C’est une quête sans fin.

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