Steve Vai au Hard Rock Café – Interview (part 2)

Par Woodbrass Team

Steve Vai était au Hard Rock Café de Paris le 12 mai, pour une conférence de presse et un petit concert au cours desquelles il s’est montré particulièrement disponible et à l’écoute des quelques privilégiés invités à le voir signer une Ibanez JEM qui sera accroché au mur du restaurant. Nous vous avions déjà retranscrit la conférence de presse dans cet article, voici désormais le contenu des échanges avec le public présent lors du mini concert. Comme toujours, on y apprend plein de choses, et les deux faces du plaisantin Docteur Stevie et du mystique Mister Vai ressortent parfaitement.

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Pourquoi avoir choisi un manche vissé sur tes JEM ?
C’est très simple : je change très souvent de manche, et c’est beaucoup plus simple à faire avec un manche vissé plutôt que collé. A force d’être joués sans arrêt, mes manches finissent par se vriller. Et puis j’aime aussi varier de taille, il arrive que je veuille un manche plus épais pendant une période, ou bien j’ai envie d’essayer des choses comme les frettes tordues True Temperament qui sont sur ma guitare principale, la EVO. Parfois, tu as beau refretter un manche, il arrive que tu l’aies épuisé jusqu’à l’os. Je ne collectionne pas les guitares vintage, j’en ai quelques unes que j’aime bien mais pour moi les guitares vintage sont des instruments qui ont un vieux son et de vieilles sensations de jeu. Ça peut être très romantique pour certaines personnes, mais je ne collectionne que les guitares que je joue.

1211_dimarzio_adComment en es-tu arrivé à tes micros signature DiMarzio ?
Un des gros avantages du fait d’être moi est que les compagnies de matos veulent fabriquer des choses pour moi, et autant vous dire que j’en abuse ! Larry DiMarzio est mon ami depuis très longtemps, et quand j’étais ado c’était mon dieu… Il m’a proposé de faire des micros pour moi, et m’en a envoyé plusieurs à tester. Lorsque la JEM blanche est sortie, j’ai gardé 5 prototypes identiques et je les ai montés avec 5 micros différents envoyés par DiMarzio. J’ai nommé les guitares en m’inspirant des moteurs de Harley Davidson. Je ne collectionne pas grand chose mais il fût un temps où j’avais 7 Harleys ! Les moteurs s’appellaient Flathead, Knucklehead, Shovelhead, Panhead et Evolution. Vu que les guitares étaient identiques, j’ai inscrit leurs noms sous le vibrato de manière à les différencier. La guitare avec les micros Evolution a été baptisée « EVO », et c’est ma guitare principale depuis 25 ans. Ces micros étaient les meilleurs pour moi, avec un très haut niveau de sortie, un filetage très serré et des graves bien épais. Il y a ensuite eu d’autres micros : les Evolution 2 avec un niveau de sortie encore plus élevé, puis les Breed avec un niveau de sortie moindre pour faire travailler l’ampli un peu plus et avec des graves moins baveux. Les nouveaux s’appellent Gravity Storm et ils sont moins perçants dans les aigus.

Toutes tes JEM sont en aulne, tu n’as jamais eu envie d’en faire en acajou ?
Si, bien sûr, mais il me reste plein de choses à essayer ! J’espère avoir encore de nombreuses années à vivre pour expérimenter avec différents bois, des manches traversants, des chevalets fixes… Quand je demande aux revendeurs Ibanez ce qui se vend bien en ce moment, beaucoup m’ont répondu : « un corps acajou, un seul micro et un chevalet fixe ». Je vois exactement où ils veulent en venir, et j’imagine bien que les guitaristes qui jouent sur ces guitares ne recherchent pas à tout prix la finesse de leurs vibrés.

floIIIAvec quelle fréquence travailles-tu ton instrument ?
Je ne travaille plus vraiment de manière organisée comme je l’ai fait pendant très longtemps. Quand j’étais jeune, j’étais comme un soldat à la guerre, et je bûchais de manière très structurée, je voulais avoir le plus de facilités possible pour que mes idées puissent venir facilement. Je me focalisais aussi sur l’investissement émotionnel dans mon instrument : il y avait un moment de ma journée, que j’avais baptisé « guitar appreciation », au cours duquel je m’asseyais en regardant ma guitare (sic). C’est très puissant, je vous recommande vivement d’essayer ! Quand on regarde une guitare, on se dit des choses comme « est-ce que c’est la bonne couleur ? Est-ce que je ne devrais pas changer les micros ? » et c’est une manière de voir les choses. Tout ça se passe de manière intellectualisée. Mais on peut aussi regarder sa guitare sans réfléchir, et donner de l’appréciation, de la gratitude à l’instrument. Cette gratitude grandit, et c’est une manière d’honorer ton jeu. Je le fais toujours à l’heure actuelle. Je ne m’entraîne plus, je joue tout simplement, et je recherche des idées uniques, bizarres ou intéressantes.

Quelle est ta méthode de composition ?
L’autre jour je suis resté assis pendant 8 heures dans un aéroport à Moscou et j’ai eu l’idée d’un vibrato qui se déplace de manière horizontale, et il faut que je travaille pour arriver à concrétiser cette idée telle que je la conçois. Le plus souvent, je joue un accord et je chante une mélodie qui me vient en tête et que j’adapte ensuite à la guitare. C’est ainsi que j’ai composé For The Love Of God ou Tender Surrender. D’où viennent ces mélodies ? Je n’en sais rien, mais c’est comme ça que ça fonctionne pour moi ! Il suffit de prendre n’importe quel accord, et de chanter ce qui vous passe par la tête, il n’y a pas d’autre secret.

Tu as transcrit des pièces extrêmement complexes pour Zappa. Comment y es-tu parvenu ?
Quand j’étais à la fac, j’ai travaillé très dur pour développer mon oreille. Avant de m’endormir, j’enregistrais un La pendant une heure sur une cassette, je m’endormais avec des écouteurs et le baladeur était programmé pour se déclencher pendant que je dormais pour me faire entendre ce La et m’aider à développer l’oreille absolue. Et ça a marché ! J’ai commencé à transcrire des morceaux, c’est-à-dire à écouter puis à noter la partition. La musique de Frank Zappa était très difficile à transcrire, notamment le solo de batterie The Black Page. Il faut y aller note par note, ça prend beaucoup de temps mais ça n’est pas impossible. Ça devient impossible si dans ton esprit tu te bloques en te disant que tu dois tout faire d’un coup. Si tu penses constamment au but ultime, tu vas être stressé. La vie n’est pas un but, elle est dans chaque moment. Et il faut s’amuser à chaque moment.

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La preuve que le son est dans les doigts : Steve Vai avait un son incroyable au Hard Rock Café avec des pédales parfaitement standard ! De droite à gauche (c’est-à-dire l’ordre dans lequel les pédales sont branchées) : wah wah Jim Dunlop Cry Baby, distorsion Boss DS-1, accordeur Boss TU-3, pédale de volume Morley Little Alligator, chorus Boss CH-1 et delay Boss DD-3.

Pourrais-tu avoir le même son sur une autre guitare que la JEM ?
Beaucoup de gens pensent qu’il y a un mystère dans les guitares qui les font sonner de telle ou telle manière, et il y a une certaine vérité là-dedans. Mais la partie la plus importante du son vient des doigts et de la tête. J’ai eu de nombreuses occasions de le constater. Quand j’étais gamin, Led Zeppelin et Queen étaient mes groupes préférés, et je vénérais complètement Brian May et sa guitare, la Red Special qu’il a fabriquée à la main avec son père. Quand tu l’entends jouer, tu reconnais immédiatement le son, personne d’autre ne sonne comme ça. Je l’ai rencontré au bar Rainbow à Los Angeles à l’époque où je jouais avec Zappa, et il était très gentil. Il m’a proposé de venir assister à une répétition de Queen le lendemain. Je suis donc allé les voir dans ce studio gigantesque qui ressemblait à un plateau de cinéma, et j’ai failli m’évanouir en croisant Freddie Mercury. Je suis arrivé face à Red Special, et j’ai demandé à Brian May : « Est-ce que c’est… » « Eh oui… Tu veux l’essayer ? ». J’ai donc joué sur la Red Special branchée sur les Vox AC30 de Brian, et imaginez donc ma déception profonde en entendant exactement le son de Steve Vai ! Il l’a jouée juste après, et ça sonnait exactement comme Brian May ! Une autre fois, j’étais dans le studio de Eddie Van Halen, et il m’a montré du doigt une vieille tête Marshall toute pourrie dans un coin. « Tu vois cet ampli ? J’ai enregistré tous les morceaux de Van Halent avec, à deux exceptions près. » « Ah oui ? Vraiment ? Mais tu as dit dans la presse qu’il était modifié, et que tu utilisais un whizzer et un variac… » « Des conneries tout ça… ». à l’époque où je jouais dans le groupe Alcatrazz, j’avais la même Stratocaster que je jouais avec Zappa, je l’avais depuis mes 16 ans. J’avais mis un autocollant d’une baleine à l’arrière de la tête, et deux switches déconnectés, un rouge et un bleu. Des constructeurs de guitare japonais voulaient des détails sur ma guitare, et je leur ai expliqué que le switch red activait une fréquence qui me permettait d’obtenir une résonnance particulière, et que le switch bleu était un « Crazy Switch » qui me rendait complètement dingue. Mais je leur ai dit que le plus important était l’autocollant de la baleine, qui était là pour donner plus de poids au manche de manière à ce que le bois du corps et du manche résonnant à la même hauteur. EVO résonne à l’unisson et c’est pour ça que je l’adore. Je leur ai donc dit que la baleine était là pour compenser un quart de ton manquant au manche ! Qui a dit que je devais dire la vérité ? Qui a inventé cette règle ? Je vous mens tout le temps ! Quelques mois plus tard, ils ont lancé la fabrication de guitares avec un autocollant de baleine, un switch bleu et un switch rouge appelé « Red Crazy Switch ».

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