Après les magnifiques concept albums The Raven That Refused To Sing et Hands. Cannot. Erase., le génie du rock progressif Steven Wilson revient avec To The Bone, un nouvel album aux morceaux plus courts, plus pop et plus immédiats qui n’en oublient pas pour autant de récompenser une écoute attentive en profondeur. Avec ce bijou qui sort le 18 août, l’ancienne tête pensante de Porcupine Tree s’impose définitivement comme un des artistes les plus intéressants du paysage pop et rock actuel. Nous l’avons rencontré et vous proposons cette interview passionnante en attendant l’album.
Par Woodbrass Team
To The Bone m’a paru être ton album le plus immédiat à ce jour. Il y a toujours la complexité des précédents, mais il y a en plus une couche plus évidente, plus accessible.
C’est une très bonne manière de le présente, et je pense que tu as tout à fait raison. C’était effectivement une décision consciente, je voulais me concentrer sur le côté le plus mélodique de ma personnalité musicale. J’ai toujours apprécié l’art de l’écriture de chansons, le songwriting. C’est un aspect fondamental de la pop et du rock, mais je pense que cet aspect a pu être mis de côté par le passé au profit du conceptuel. Cette fois, je voulais donner la priorité par dessus tout à des morceaux accrocheurs aux bonnes mélodies solides. Pour autant, je n’ai pas voulu sacrifier les autres degrés de compréhension, les couches plus profondes que la plupart des gens associent à mon travail.
Les paroles sont aussi moins tournées vers l’intérieur, elles sont plus énervées.
Je pense que c’est avant tout la conséquence de l’état du monde pendant ces deux dernières années. Si tu aimes la vie et que tu apprécies le monde autour de toi il est difficile de ne pas être inquiet, énervé et effrayé par tout ce qui se passe. J’ai écrit Hands. Cannot. Erase il y a deux ans et demi et le monde a dramatiquement changé en si peu de temps. Il me paraîtrait donc bizarre, et presque irresponsable, de ne pas faire allusion au climat politique, aux atrocité terroristes et à la crise des réfugiés. Cela dit, je pense que pour la première fois il y a aussi de la joie sur un de mes albums.
Tu penses aux chansons Permanating et Song Of Unborn ?
Exactement, et aussi Nowhere Now. Il y a un côté positif, et je pense d’ailleurs qu’il vient partiellement du même endroit : il y a tellement de mauvaises choses autour de nous qu’il est important de se rappeler à quel point la race humaine est aussi capable de très belles choses. Et nous ne sommes qu’une espèce animale parmi tant d’autres, même si nous essayons souvent de nous convaincre que nous sommes supérieurs.
Roger Waters vient de sortir un excellent album, Is This The Life We Really Want?, dans lequel il aborde les mêmes sujets.
Je ne l’ai pas encore écouté, mais ça ne m’étonne pas qu’il soit bon. Le dernier Depeche Mode m’a donné cette impression aussi, avec le single Where’s The Revolution. Si tu es un artiste intelligent, il est difficile de ne pas faire référence à ce qui se passe. Beaucoup de musique pop provient de la protestation politique, qu’il s’agisse de folk, de punk ou de hip hop. Cette notion s’est perdue en chemin depuis les années 90 avec Public Enemy et Rage Against The Machine. Pendant les vingt dernières années, la pop music a eu tendance à se diriger dans une direction plus banale, inoffensive et plutôt conservatrice. Visiblement, ce sont plutôt les vieux comme Roger Waters ou moi qui écrivent cette musique énervée, même si j’ai hâte de découvrir un groupe de jeunes de 20 ans qui écrivent sur ces sujets.
Comment évites-tu le piège du prêchi-prêcha sur des sujets aussi lourds ?
C’est une très bonne question. Je m’en sors en parlant de personnages fictifs bien précis, et en adoptant leur point de vue, plutôt que de donner des leçons comme pourrait le faire Bono, en disant aux gens de voter pour untel ou untel. Je me concentre sur les individus, et je raconte leur histoire. Je ne suis pas sûr que je changerai l’avis de qui que ce soit puisque mes fans sont probablement déjà convaincus, mais je pense que l’on se sent moins seul lorsqu’on entend de la musique qui exprime ce que l’on ressent.
La basse a un son bien particulier sur cet album.
La basse et la batterie sont toujours enregistrés ensemble, afin d’obtenir cette symbiose qui n’arrive que lorsque deux musiciens jouent au même moment. Je joue de la basse comme un songwriter : je ne joue pas de plans pour impressionner tout le monde, je fais ce qui me paraît bon pour le morceau que j’ai écrit. Pour cet album, j’ai travaillé avec le co-producteur Paul Stacey qui a une incroyable collection de matériel. Pour beaucoup de morceaux, j’ai choisi une Rickenbacker Chris Squire signature, même si je n’avais pas forcément envie de jouer cet instrument très connoté “rock progressif”… Il se trouve que c’est elle qui convenait le mieux. Habituellement, j’utilise une Spector, je n’avais jamais joué sur une Rickenbacker. C’est un son très particulier et reconnaissable, elle parle parfaitement à travers la musique.
Ton jeu en slide est unique, comment en es-tu arrivé là ?
Je pense que ma plus grosse influence dans ce domaine est David Gilmour. J’ai beaucoup écouté de Pink Floyd quand j’étais plus jeune. Mais je pense que mon jeu de slide vient surtout du matériel que j’utilise : j’ai un rond de serviette en cuivre que j’ai façonné quand j’étais au collège en classe de techno, ça ne couvre même pas toutes les cordes, ça ne permet donc de jouer que sur trois cordes à la fois, et la diamètre est énorme donc j’y mets trois doigts. Ma technique s’est développée en fonction de cet outil, je suis incapable de jouer avec un bottleneck normal. J’ai discuté avec la marques de cordes D’Addario de me faire un bottleneck signature mais ils pensent que ça n’intéressera pas grand monde vu que c’est très particulier ! Avec le temps, les côtés se sont émoussés et je me sers aussi de cette particularité, c’est donc un objet extrêmement précieux pour moi. Je l’amène en tournée et le confie à mon guitar tech : il sait bien que si il le perd, il est viré !
Quelles guitares as-tu utilisé ?
Cet album a quasi-entièrement été enregistré avec des Telecaster. Paul en a une vingtaine, et celle que j’aime est une signature Joe Strummer mexicaine. Elle est très belle, ce n’est évidemment pas la guitare la plus chère ou la plus raffinée mais j’ai écrit la majorité de l’album dessus et elle est donc devenu le son de base. Je n’avais jamais joué de Tele, j’étais toujours sur mes PRS ou mes Les Paul, et ces guitares sont aussi sur l’album, mais To The Bone a été conçu autour de la voix de ma Telecaster mexicaine.
Et quels étaient tes amplis ?
Là encore, Paul a une collection ahurissante et parfois je ne sais même pas sur quoi il me branchait puisque je me contentais de jouer ! Nous avons utilisé des Peavey, des Hiwatt, des Marshall, des Fender Twin, des Vox AC30… Et pour chaque modèle il avait plusieurs millésimes et chacun sonnait de façon très différente. De façon générale, j’ai utilisé très peu de gain puisque la Tele a déjà un son agressif et mordant sans distorsion. Tu obtiens alors un son à la Pete Townshend, qui est mon idole.
Quel était le rôle de Paul Stacey ?
Il m’a poussé dans des directions auxquelles je n’aurais pas pensé. Pour la première fois je voulais travailler avec quelqu’un qui aurait des avis aussi tranchés que moi. Par le passé, je travaillais avec des ingénieurs de son, leur rôle était de réaliser ma vision plutôt que de la contredire. Paul m’a poussé à chanter dans le studio, alors qu’avant je le faisais chez moi, le plus loin possible de tout avis extérieur. Pour le duo avec Ninet Tayeb, nous étions carrément face à face, et chantions l’un pour l’autre. Je n’aurais jamais osé le faire auparavant, puisque Ninet est une vraie chanteuse alors que je suis très limité. Paul m’a poussé à croire en moi, et à donner une vraie performance de chanteur plutôt que de présenter la chanson comme la personne qui a écrit la chanson.
Te souviens-tu des micros vocaux que vous avez utilisé ?
Mon microphone de prédilection est le Neumann U47. C’est à peu près mon seul micro à la maison puisque tout sonne magnifiquement à travers. Pour Ninet, nous avons utilisé un U89.
Comment se fait-il que Dave Kilminster soit relégué aux choeurs alors que le jeu de Guthrie Govan était très en avant sur les albums précédents ?
Ça n’a rien à voir avec Dave, et d’ailleurs Guthrie aurait eu le même traitement si il avait fait partie du groupe, mais je voulais jouer les parties de guitare de cet album moi-même. C’est une conséquence de la nature des chansons, qui sont plus directes. Cet album n’appelle pas à la virtuosité, et bien sûr Dave ou Guthrie peuvent jouer sans déballage de virtuosité mais il y a une naïveté naturelle dans mon jeu qui était la bonne approche pour To The Bone. Dave a bien sûr compris mon point de vue, mais il a demandé à faire les choeurs parce qu’il adore ça !