Par Woodbrass Team
Comme tous les ans depuis 1989, le Fair sort sa compilation de l’année sur laquelle il présente quinze groupes ou artistes à découvrir de toute urgence. Comme tous les ans, Woodbrass est partenaire et a offert 300 euros de bons d’achats à tous les lauréats et des tarifs préférentiels sur les instruments de leurs rêves. Suivez-nous à la découverte d’un très beau millésime.
Nous vous avions déjà parlé du Fair à travers l’interview de son directeur Julien Soulié, mais pour ceux qui n’ont pas suivi : le Fair est un dispositif d’aide aux lancements de carrière qui pousse les groupes les plus prometteurs vers la professionnalisation. Il y a l’aide financière bien sûr (une bourse de 6000 euros à dépenser en enregistrement ou tournée), mais aussi et surtout le réseau très efficace du Fair qui permet aux lauréats de trouver des concerts et d’accéder à une exposition médiatique impossible autrement. Sachant que son jury a toujours eu le chic pour dénicher les futurs grands avant tout le monde (Dionysos, M, La Rumeur, Alexis HK, Stupeflip, Miossec, Sinclair, Ez3kiel et plus récemment Fauve), la compilation 2015 mérite une oreille particulièrement attentive et propose un beau passage en revue des cartons à prévoir d’ici peu.
Face A
Baden Baden ouvre le bal. Ils ont beau porter le nom d’une ville allemande, ils viennent de Normandie et donnent dans la pop synthétique. La voix en français, systématiquement doublée, vient se poser sur un tapis d’ambiance plein de reverb façon Brooklyn dans laquelle la basse rythme le tout au claquement de son médiator. On enchaîne sur le gros ronflement de synthé façon analogique du trio Blackmail. Le chant en anglais est répétitif, le beat pousse le tout mais reste très assis, on retrouve quasiment le côté bayou d’un certain blues mais avec des machines. Inédit et surtout très réussi. Viennent ensuite d’énormes nappes de synthé façon Brian Eno pour Blind Digital Citizen. La voix théâtrale et presque parlée (en français) se pose sur ces ambiances épaisses, presque capiteuses. La guitare électrique reprend le dessus pour Rytm du groupe Encore !, une rythmique africano-funky gorgée de chorus à la Vampire Weekend, accompagnée par un beat disco et une voix (en anglais) qui évoque les Talking Heads. La relève de la French Touch est donc assurée ! Le virage suivant est raide puisqu’on passe à des ambiances zen de harpe et de guitare acoustique chez Fakear (le nom de scène d’un seul homme, Théo, seul face à sa MPC). Un beat épais ne tarde pas à briser le calme ambiant, ainsi qu’une voix façon Bollywood samplée au hachoir. Le ralenti final est parfaitement dans l’air du temps, et les trois minutes de voyage passent toutes seules. L’électronique reste prédominante chez Feu ! Chatterton, mais une belle voix en français bien saturée s’impose avec un superbe texte et des mélodies bien senties. On pense à feu Bashung, justement, mais la production n’a rien de nostalgique, voire aux Doors, et même à Claude François sur ce refrain disco improbable. Comme quoi aucun mélange n’est interdit lorsque tout cela est bien fait… Encore des nappes atmosphériques épaisses pour Lisbon de Grindi Manberg, et une rythmique de piano légèrement désaccordé avec un son de caisse claire qui évoque immédiatement les années 80. La voix va aussi dans ce sens, toute fine et intimiste. Un peu de basse chorusée et nous voilà sous le charme : la magie opère sans même qu’on s’en rende compte, la marque d’un grand.
Blackmail : anonymes eux aussi
Face B
La deuxième moitié de la compilation s’ouvre sur Isaac Delusion. French Touch encore, avec quelques accords de Rhodes en ouverture qui deviennent le support de voix aériennes (en anglais). Le beat rentre et sort au gré des ambiances changeantes, mais l’ambiance planante reste constante, même lorsqu’une guitare wah wah rajoute sa voix funky à l’ensemble. C’est ensuite Léonie Pernet qui prend les contrôles, et sa voix lointaine (en anglais) sur fond de piano tremblant et noyé dans la reverb évoque les grandes heures de P.J. Harvey sur le magnifique White Chalk. L’entrée de la batterie, à la Ride envahissante, se fait presque par surprise, et on se laisse porter dans ce tourbillon fascinant. Le groupe suivant a beau s’appeler Radio Elvis, il évoque plutôt le post-rock à la française. On retrouve la guitare chorusée de Encore !, l’influence Bashing de Feu ! Chatterton, mais le trio se démarque avec un côté africain de la rythmique encore plus prononcé et des guitares plus crunchy. Set&Match prend ensuite le pouvoir sans prévenir, avec un sample de voix pitchée entêtant sur lequel vient se caler un gros beat de 808. L’excellent flow des montpelliérains fait penser au Svinkels, tant ils évitent soigneusement les clichés du genre et écrivent avec un vrai sens de la formule (« C’est pas le royaume des fées, ça va être sale pas besoin que tu te pomponnes »). On continue dans le hip hop intelligent, chanté en anglais cette fois, avec Smokey Joe & The Kid, un duo de barrés qui samplent autant la clarinette klezmer que le piano stride et les voix pitchées suraiguës. On passe du néo-Edith Piaf au reggae en passant par des ambiances à la Gorillaz, sans remplissage, et avec un featuring des sorciers allemands de Puppetmastaz. Du très lourd. Puis d’épais claviers annoncent que l’on vient d’entrer sur le territoire de Thylacine. Le beat est léger, et le saxophone qui improvise sur l’ensemble construit le pont entre Pink Floyd période Wish You Were Here et Nu-Jazz. Une petite respiration instrumentale au milieu de ce déluge de paroles donc. Viennent ensuite une grosse batterie lo-fi, des bandes retournées et des chœurs angéliques qui débouchent sur un chant plus groovy que cette ouverture néo-folk à la Grizzly Bear aurait pu laisser penser. We Are Match c’est donc aussi du mélange, mais surtout un talent vocal impressionnant. Enfin, le tout se clôture sur la funk-folk bricolée du trio We Were Evergreen (mention spéciale pour la cohérence des noms de groupes puisqu’on passe de Set&Match à We Are Match puis à We Were Evergreen !). Voix fluette en anglais, arrangements bordéliques mais superbes, ce groupe a un charme indéniable.
Dig it
Vous l’aurez compris, il y a de superbes choses à découvrir sur cette compilation, et nos mentions très spéciales vont à Blackmail, Set&Match et Smokey Joe & The Kid, mais c’est bien sûr purement subjectif, et pour avoir été parmi les 15 sélectionnés au sein des 150 candidats envisagés il faut de toutes façons avoir un très gros niveau. Pour ne rien gâcher, la sélection du Fair 2015 est en téléchargement gratuit sur leur site, et nous vous conseillons vivement une écoute en profondeur, surtout si vous faîtes partie des grincheux qui pensent qu’il ne se passe rien dans le paysage musical français actuel.