Interview Ludovic Lanen

Par Woodbrass Team

Avec un CV qui comprend Francis Cabrel ou Patricia Kaas, l’ingénieur du son Ludovic Lanen a une connaissance du son qui a de quoi inspirer la plupart des apprentis sorciers du genre. Il est aussi le principal endorsé de la marque de micros Prodipe, au point qu’il est difficile de trouver un modèle chez eux qui ne porte pas sa signature. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec lui afin de lui soutirer quelques secrets.

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Comment es-tu entré en contact avec Prodipe ?
Claude Salmiéri, avec qui je travaille très souvent et depuis très longtemps, avait déjà développé la mallette de micros pour batterie avec eux. J’avais déjà écouté ces micros à l’époque et je savais qu’ils faisaient du bon boulot. L’équipe de Prodipe cherchait à diversifier sa gamme et Claude leur a donc dit de m’appeler ! J’ai toujours été très intéressé par l’aspect technique des choses, dès le départ : quand je faisais de la musique au lycée, j’avais un copain qui construisait des amplis et des chaînes stéréo, c’est en partie grâce à cette fascination que je fais le métier d’ingé son. J’ai aussi approfondi  cette connaissance à l’époque où j’ai participé au changement de console du Château d’Hérouville.

Tu étais donc musicien à l’origine ?
Comme beaucoup de gens, rien de très sérieux ! J’avais mon groupe et on reprenait des morceaux des groupes de l’époque, mais je n’ai jamais été musicien professionnel. Je continue de gratter un peu ma guitare mais c’est un hobby. Et si j’avais eu une illusion quelconque quant à mon talent de guitariste, le fait d’avoir travaillé avec des vrais professionnels m’aurait vite calmé !

Le Château d’Hérouville est le symbole d’une époque révolue.
J’ai commencé à y travailler en 1982 et c’était une période qui commençait déjà à être difficile pour les studios résidentiels. Il y avait de telles charges fixes que ça devenait compliqué à tenir. Mais j’ai connu cette époque où la musique se faisait dans des studios, avec des musiciens, avec du temps, et du matériel exceptionnel. Le coût entrait bien sûr en ligne de compte, mais on essayait d’avoir ce qui se faisait de mieux et pas le moins cher. J’ai connu la transition avec les premiers samplers et la première boîte à rythme crédibles qui était la Linn. A l’heure actuelle, une grande partie de la production se fait uniquement sur ordinateur, avec très peu de musiciens et souvent sans ingénieur du son. L’artiste fait le producteur, l’arrangeur, l’ingé son et presque tous les instruments, ou bien il envoie ses sessions aux autres musiciens par internet. J’ai un avis contrasté là dessus puisqu’il y a des choses magnifiques qui ont été produits comme ça et ça permet une grande liberté artistique, mais il y a clairement un appauvrissement de la qualité sonore et de la qualité musicale de ce qui est produit comme ça.

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Pourquoi cet appauvrissement à ton avis ?
A part pour quelques génies comme Prince ou Stevie Wonder qui sont capables de faire des albums géniaux sans l’aide de personne, il n’y a pas grand chose qui remplace le talent de dix personnes. Lorsqu’un album ne reflète que le talent d’une personne, on perd cette synergie et l’interaction qui est très importante lorsqu’on enregistre plusieurs musiciens en même temps. Tout ça n’est pas possible à reproduire lorsqu’on enregistre les éléments séparés. Heureusement il y a encore des albums qui échappent à cette tendance générale.

Ça n’est pas difficile pour toi de faire ce grand écart entre ingénieur du son élitiste dans son matos et tes micros très accessibles chez Prodipe ?
C’est complémentaire, pas contradictoire. Dans les studios, même si on avait le meilleur matériel, on se servait des Shure SM57 qui sont des micros très peu cher à fabriquer. La première fois qu’on a vu des micros de bonne qualité à pas cher, c’est quand le Rideau de Fer est tombé et que l’URSS s’est ouverte. Les micros Oktava arrivaient au tiers du prix des Neumann pour des performances à peu près identiques. D’ailleurs, on avait à l’époque les mêmes commentaires qu’on retrouve à l’heure actuelle pour la manufacture chinoise : il y avait ceux qui étaient trop heureux d’avoir des super micros pas chers, et ceux qui disaient que ça ne sonnait pas sans même les avoir écoutés. Autre chose : à l’époque, la plupart des fabricants faisaient leurs micros en Allemagne, en Autriche et ainsi de suite, mais pas en Chine, alors qu’à l’heure actuelle ils sous-traitent tous.

La manufacture chinoise a énormément progressé.
Il y a eu des gros progrès parce que les usines chinoises ont travaillé pour des firmes européennes et japonaises qui avaient 50 ans d’expérience ! Prodipe bénéficie de tout ce travail fait par les autres donneurs d’ordre qui ont transmis leur savoir faire aux chinois.

resizeAs-tu un micro préféré parmi ceux qui portent ta signature ?
Il y en a un qui est injustement méconnu mais qui fait craquer tous ceux qui l’essaient, c’est le Ribbon Stéréo Ludovic Lanen, le micro à ruban stéréo. Il n’existe rien d’équivalent sur le marché.

Comment expliques-tu ce retour à la mode des micros ruban ?
C’était un secret gardé, volontairement ou pas, par plein de gens qui continuaient à l’utiliser sur les guitares électriques et les voix, notamment à l’époque du grunge. Il y avait très peu de marques qui en faisaient donc personne ne faisait attention. Puis petit à petit c’est revenu à la mode il y a à peu près cinq ans, plusieurs constructeurs se sont remis à en fabriquer. Il suffit d’écouter un micro à ruban pour craquer immédiatement : ça apporte une présence et une réalité que l’on ne retrouve pas avec un dynamique.

Parmi les nombreuses sessions que tu as fait, y en a-t-il une que tu trouves particulièrement mémorable ?
Il y en a eu énormément, mais celle qui me revient le plus souvent c’est celle de Sarbacane (1989) avec Francis Cabrel. C’est la preuve ultime de ce que je disais tout à l’heure sur l’énergie d’un groupe qui joue ensemble. On était au studio Polygone, et on a fait une première prise. Je n’étais pas super content du son : la grosse caisse manquait d’attaque et la basse était un peu floue. Les musiciens viennent écouter, on refait une prise, et d’un seul coup le son est parfait, tout s’imbrique parfaitement. Je n’avais pas touché un seul bouton. La seule différence était la manière de jouer des musiciens. C’était une révélation pour moi, surtout à cette époque qui marquait le triomphe de l’ingé son qui pouvait tout faire avec sa SSL et son total recall. Cette expérience a été une belle leçon de modestie : pour qu’un album sonne très bien, il faut avant tout des bons musiciens.

2 réflexions au sujet de « Interview Ludovic Lanen »

  1. « … pour qu’un album sonne très bien, il faut avant tout des bons musiciens  »
    C’est pas courant de le lire !! 🙂

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