Après deux ans de quasi-silence, le mastodonte festival francilien avait rendez-vous du 25 au 28 août avec son public pour des retrouvailles annoncées comme exceptionnelles, avec 80 groupes programmés, quatre journées de concert, des têtes d’affiche (Nick Cave and The Bad Seeds, Stromae, Tame Impala, Kraftwerk, Parcels…) et une exclusivité française avec le concert des Arctic Monkeys. Une cinquième journée avec Rage Against The Machine devait initialement clore en apothéose le festival. Le genou de Zach de la Rocha en a malheureusement décidé autrement. Cette défection des explosifs californiens n’a pas pour autant terni les chiffres de cette édition avec 150 000 festivaliers présents et trois soirées complètes. Le festival a également confirmé ses galons de rendez-vous international avec près de 15 % de festivaliers venus de Grande-Bretagne, du Benelux, d’Allemagne ou d’Australie. Si cette affluence record et la belle affiche aux couleurs rock, pop, funk, soul ont fait les quatre beaux jours de cette édition, son bilan reste malgré tout contrasté, avec quelques couacs dans l’organisation (infrastructures insuffisantes générant de longues files d’attente) et une nouveauté qui n’a pas manqué de créer le débat.
Retour gagnant sur la grande scène
On peut dire que la « main stage » aura cristallisé les passions. De ces quatre jours de festival, on retiendra comme belles images la messe incantatoire donnée par Nick Cave, transformé le temps d’un soir en messie du domaine National de Saint-Cloud. Autre satisfaction, le live en version cosmic trip très pop de Tame Impala. Si les débuts du combo australien illustrés par le cultissime morceau « Elephant » semblent assez loin (vingt ans à vrai dire !), à voir les nombreux visages juvéniles postés derrière les barrières, on reste bluffés par la créativité de son leader, le multi-instrumentiste Kevin Parker, et sa capacité à se réinventer pour traverser les générations.
On en a également pris plein les mirettes avec Stromae et sa fabuleuse scénographie scénique. Les Anglais d’Idles auront su, eux aussi, nous embarquer dans leur folie communicative, tout comme les Limiñanas et leur garage psychédélique aux ambiances cinématographiques. On saluera enfin le live de Jamie XX, qui, à grand renfort de boules à facettes, a transformé le parc en dancefloor géant. Pas très rock, mais terriblement efficace.
Au rayon des déceptions, on restera sur notre faim sur la prestation des Arctic Monkeys. Menés par un Alex Turner peu empathique envers le public, les Anglais ont assuré un service minimum, dévoilant tout de même dans un rare élan de générosité, un nouveau titre de leur prochain album, confirmant ainsi la direction soul et funk prise par le groupe sur ses derniers albums.
À la recherche de la foule aux œufs d’or
La « star » de ce festival, celle qui aura le plus nourrit les conversations, déclenché quelques aversions et inondé les réseaux sociaux n’était pas sur la grande scène mais dans la fosse. Courant sur la moitié du devant de la scène, un nouvel espace appelé « Golden Pit », censé accueillir 3 000 personnes détentrices de billets premium, à savoir un billet payé jusqu’à 30 € plus cher la journée, a vu le jour cette année (l’espace existait déjà dans une version minimale lors des deux précédentes éditions). Quand certains s’entassaient d’un côté des barrières pour voir leur idole, les autres étaient allongés sur la pelouse ou tout juste absents, laissant souvent une grande moitié du devant de la scène totalement vide. Un faux pas venu écorner l’image d’un festival jouant sur l’imagerie du rock et sur l’expérience collective, et qui n’a pas manqué de faire réagir en live Nick Cave ou le turbulent Yungblud. Mauvaise pioche.
Des riffs et des beats en cascade
Du beau monde a également défilé sur la scène cascade, la deuxième plus grande scène du festival.
Sans totalement nous subjuguer, le pop rock à guitares des Irlandais de Fontaines DC ou d’Inhaler, groupe mené par Elijah Hewson, le fils de Bono, ont été plutôt convaincants. La scène cascade aura surtout accueilli un des temps forts de cette édition avec le superbe show des mythiques Kraftwerk. Mêlant graphisme d’inspiration Bauhaus à des images 3D diffusées en arrière-plan (des lunettes 3D étaient offertes aux festivaliers), les Allemands ont su capter l’attention des différentes générations présentes, à travers quelques titres iconiques comme « The Robots » ou « Radioactivity ».
Leur performance à la Route du Rock avait été grandement saluée. On en attendait beaucoup des gouailleurs de Yard Act, nouveaux symboles du renouveau du post-punk anglais. Trop timoré, le groupe de Leeds a livré un set sans âme. Dommage. La présence de James Blake était également annoncée comme un événement. Sûrement programmé trop tôt, l’Américain calé derrière ses claviers n’a pas su non plus capter nos émotions. Tout comme Izïa Higelin. Toujours aussi énergique sur scène, son live n’a pas réussi à nous séduire, la faute à un virage musical qui lorgne trop à notre goût du côté de la variété.
Kraftwerk © Olivier Hoffschir Fontaines DC © Olivier Hoffschir Inhaler © David Leprince Izïa Higelin © David Leprince
Frenchie but goodie
À travers ses dispositifs Avant-Seine et Première Seine, le festival s’attache à chaque édition à mettre en avant toute la diversité et la vivacité de la jeune scène française. Parmi les talents émergents repérés, on retiendra le punk fougueux de Ravage Club, le live énergique d’Ottis Coeur (notre précédente interview du groupe à retrouver ici), le désenchantement de Gwendoline et sa shlag-wave ou la fragilité de November Ultra. Autre réjouissance, Requin Chagrin et sa pop eighties toute en réverbe. Le groupe a pris de l’épaisseur sur scène au fil des ans, avec une Marion Brunetto, sa guitariste-chanteuse, beaucoup plus libérée et communicative qu’à ses débuts. Clap clap !
Ottis Coeur © Olivier Hoffschir Requin Chagrin © David Leprince November Ultra © Victor Picon Ravage Club © David Leprince
L’édition 2023 aura lieu les 25, 26 et 27 août, soit un jour de moins que cette édition, mais avec sûrement beaucoup de surprises, le festival célébrant l’année prochaine son vingtième anniversaire. À voir si ce sera un anniversaire en or… ou pas.
Infos : rockenseine.fr
Une sélection de concerts peut être visionnée en replay sur le site de la chaîne Culturebox, accessible ici