Par Woodbrass Team
Dans le monde fascinant de la scène, on fait forcément plus attention au chanteur qui se promène d’un bout à l’autre de la scène en sautant partout, ou au guitariste dont les cheveux sont remués par un ventilateur à chaque solo. Mais ils ne seraient rien sans le colossal travail qui se déroule en coulisses, et peu de rôles sont d’une importance aussi cruciale que celui du programmateur. De Mylène Farmer à Etienne Daho en passant par Calogero, Jean-Philippe Schevingt se charge des séquences et des sons de claviers des plus grands depuis vingt ans. Ils nous explique son métier si particulier dans cette interview, réalisée à l’occasion de son passage au service Woodbrass Deluxe Audio Pro.
Quel a été ton parcours ?
J’ai tout simplement commencé comme claviériste dans mes groupes de lycée. A l’époque j’ai eu les DX Yamaha et un Roland Juno. Je demandais un ARP à chaque noël mais ça coûtait le prix d’une voiture ! à partir du moment où on a voulu jouer avec des séquences, c’était logiquement au clavier de s’y coller vu que j’avais déjà l’habitude de programmer mes instruments. Je suis donc passé sur Atari, puis il y a eu PRO 24 et Cubase. J’ai découvert la musique assistée par ordinateur, et à partir de 1993 j’ai essayé de très nombreux logiciels sur PC, y compris des prototypes en tous genres. Je suis ensuite passé aux bandes numériques en ADAT, puis en direct to disk Akai, puis en 2001 Pro Tools est devenu plus stable et il est donc arrivé un peu partout sur scène. C’est là que j’ai vraiment été embarqué sur de nombreuses tournées pour la programmation de séquences mais aussi pour installer des systèmes de gestion des instruments virtuels.
Quel est le matériel dont tu te sers le plus souvent ?
Côté logiciels, Ableton Live gagne du terrain pour les séquences depuis 4 ans environ. Pour les instruments virtuels, Main Stage de Apple offre une grande flexibilité dans la configuration des contrôles. Côté interface, j’aime bien RME. Enfin, j’utilise toujours deux systèmes identiques en parallèle pour passer de l’un à l’autre en cas de problème. Pour ça, j’ai le switcher Radial SW8. Yvan Cassar a décidé en 2009 de faire une tournée de Mylène Farmer en 100% virtuel, c’est-à-dire sans aucun appareil hardware pour les sons de claviers. On est donc partis avec 4 Mac PRO et ça a parfaitement marché, même si on était obligés de passer d’un système à l’autre puisque tout ne rentrait pas dans une seule session Main Stage.
Comment en es-tu venu à utiliser des Mac Mini ?
Il y a eu une période durant laquelle Mac ne vendait plus de Mac Pro, nous nous sommes donc rabattus sur les iMac et Mac Mini. Le seul problème est leur absence de connectivité PCI, ce qui nous a obligés à nous rabattre sur un boîtier Sonnet Technology branché en Thunderbolt. Récemment, j’ai utilisé un ancien Mac Pro et il s’est fait battre au niveau des performances par un iMac et un Mac Mini de la génération i7, alors que Main Stage est extrêmement gourmand en ressources. Même les Mac Mini dont je me sers à la maison tiennent très bien, il suffit de bien s’en occuper.
Comment configure-t-on un mac pour la musique ?
Il ne faut garder que les applis nécessaires, et on met tous les softs et systèmes à jour. Internet ne doit être utilisé que pour les autorisations et mises à jour. En tournée, on part toujours avec des ordis neufs pour éviter les mauvaises surprises. Au début, les musiciens utilisaient les ordis avec lesquels ils vivaient dans le bus, c’était donc moins stable.
Ça n’est pas compliqué de gérer toutes les autorisations iLok ?
Il est parfois difficile de s’y retrouver, j’ai une valise pleine d’iloks sur certaines tournées ! Mais avec la dernière version du Manager on peut facilement transmettre les licences d’une clé à l’autre. J’ai eu un seul problème il y a longtemps : la clé iLok qui était sur le port USB du clavier de l’ordinateur a été volée à la fin de la balance et je n’avais pas de rechange. Du coup j’ai croisé les doigts pour que Pro Tools reste ouvert pendant toute la durée du concert. Si j’avais dû redémarrer, on n’aurait pas pu le relancer.
Une partie du matériel mobile déployé pour l’enregistrement du DVD live de Roger Waters à Athènes
As-tu des claviers-maître de prédilection ?
Je n’ai pas souvent le choix, puisque ça dépend beaucoup des préférences personnelles du claviériste. J’aime les AKAI pour leur extrême solidité. De manière générale, je préfère un clavier à connectique MIDI plutôt que USB, vu que l’USB supporte moins bien les grosses longueurs de câble. Il est plus facile d’utiliser un système hors-scène avec du MIDI.
Quels sont les instruments virtuels que tu utilises le plus souvent ?
Le Kontakt de Native Instruments est toujours là quelle que soit la configuration. Pour les sons de piano, j’utilise beaucoup Ivory. Pour les Rhodes et B3 c’est souvent les instruments intégrés d’office à Apple Main Stage qui sont utilisés, surtout depuis la dernière version qui est très bien. Il y avait le B4 Native Instruments mais il n’est plus mis à jour depuis belle lurette. J’aime beaucoup les produits UVI et Arturia, dont leur Vox Continental qui est excellent. Mais il y a de très nombreux cas de figure différents, il y a même des claviéristes qui ont leurs propres banques de sons qu’ils intègrent à Kontakt.
Je suis bien sûr obligé de me tenir au courant de toutes les évolutions, puisqu’une grande partie de mon métier consiste à recommander des logiciels. Récemment, je me suis mis aux plugins Universal Audio UAD, surtout ceux qui me font rêver : la Lexicon, les EMT et l’EQ Harrison, ainsi que les préamplis Unison qui sont vraiment très bons.
Utilises-tu les sons des instruments virtuels tels quels ou les modifies-tu avec des plu gins ?
Auparavant les ressources logicielles disponibles ne nous permettaient pas d’utiliser trop de plugs sur un instrument, mais maintenant on ne se gêne pas pour empiler des EQ ou des compresseurs sur un son d’origine.
Qui participe à la création des sons ?
Le claviériste bien sûr, mais aussi le Directeur Artistique, surtout lorsque les albums ont beaucoup de machines qui font partie intégrante de l’univers. Les artistes eux-mêmes sont rarement impliqués à ce stade, sauf ceux qui sont aussi musiciens comme Calogero.
Trouves-tu encore le temps de jouer ?
Oui bien sûr ! Certains artistes veulent que j’apparaisse sur scène puisqu’ils assument l’intégration des ordinateurs dans leur musique, et je jongle donc entre les rôles de programmateur et de claviériste de scène. J’ai ainsi eu l’occasion de jouer avec MC Solaar, Alizée ou la tournée de la Star Ac’.
Quelles sont à ton avis les prochaines évolutions des systèmes que tu utilises ?
Je pense qu’ils ne sont pas forcément amener à évoluer de manière révolutionnaire. D’ailleurs on redécouvre à l’heure actuelle les possibilités du MIDI alors que le format date de 83. Les tablettes et smartphones sont de plus en plus utilisés mais les gens ont du mal à leur faire confiance et ils sont donc surtout exploités comme télécommande. Le fait de faire de la musique en public avec cet objet que tout le monde a chez soi établit une connexion particulière avec le public. De manière générale, il y a encore plein de choses que les gens veulent faire avec mais qui ne sont pas encore possibles ou pas encore fiables.